Le Ciel est son Père, la Terre est sa Mère. Hermès Trismgiste, Tabula Smaragdina.
La Terre-Mère et le Ciel-Père
Le Ciel est son Père, la Terre est sa Mère. Hermès Trismgiste, Tabula Smaragdina.
Le nectar d'immortalité de Swami Ramalingam
EXTRAIT DE «JOTI AGAVAL» (Poème de Swami Ramalingam, couplets 725 à 740.)
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«O mon unique Amour qui a jailli de mon cœur et l'a
rempli tant qu'il a fait fleurir ma vie. O mon unique Seigneur d'Amour qui s'est donné à moi totalement, qui par la
Lumière-de-Grâce m'a transmué. Cet Amour est entré en moi et s'est uni à mon
cœur, transformant mon corps en un corps doré. La peau est devenue souple;
l'influx du courant nerveux vibre à travers tout mon corps, avec une pause
entre chaque vibration; les os sont devenus pliables et de nature plastique;
les muscles sont lâches et se sont vraiment déliés; le sang s'est condensé
dedans; la semence s'est concentrée en une seule goutte et confinée dans la
poitrine; les pétales du cerveau se sont ouverts et répandus; l'amrita [le nectar
d'immortalité] jaillit en cascades à travers le corps et le remplit; le front
est lumineux et transpire; le visage est lumineux et irradie; le souffle est
plein de paix et il devient frais et rafraîchissant; le sourire intérieur
rayonne; les cheveux se dressent sur la tête; des larmes de joie coulent vers
les pieds; la bouche vibre d'un appel passionné [vers le Divin]; les oreilles
vibrent d'un son musical en sourdine; le corps est devenu frais; la poitrine
est lisse et se dilate; les mains se joignent [comme en prière]; les jambes
pivotent ou font le tour complet; le mental fond doucement; l'intelligence
s'emplit de lumière; la volonté est pleine de joie et d'harmonie;
l'individualité s'est élargie partout; le cœur s'est épanoui dans un
sentiment d'universalité et peut sentir physiquement le monde; le corps de
connaissance est devenu tout béatifique; même l'egoïsme spirituel des sens a
disparu: les sens (tatvas) ont été entièrement remplacés par la Vérité
(satva); le principe de vérité ou la substance de vérité maintenant
dominent uniquement; l'attachement aux objets des sens et aux choses du monde
s'est dissous; seules, l'aspiration et la volonté de se fondre dans la Grâce
sans limite grandissent et s'intensifient.»
Commentaire de ce texte par la Mère dans: L'Agenda, 11 juillet 1970
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La joie du corps
Un feu pour faire descendre l’éternité dans le Temps
Et rendre la joie du corps aussi vivante que celle de l’âme.
Sri Aurobindo
Sri Aurobindo
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Sri Aurobindo
L'homme est un être de transition
L’homme tel qu’il est ne peut pas être le terme ultime de l’évolution. Il est une expression trop imparfaite de l’Esprit.
Sri AurobindoAu coeur de la grande pyramide
Le chapitre suivant est extrait de l'ouvrage "L’Égypte
secrète"de Paul Brunton, chercheur spirituel ayant vécu à l'ashram de Sri Aurobindo et ayant rencontré de nombreux maîtres en Inde au cour du 20ème siècle. Célèbre auteur des ouvrages sur la spiritualité, tel que "L'Inde secrète", "La sagesse du Moi Suprême", "À la recherche du soi suprême. Autant d'ouvrages que recommandait Jacques La Maya.
Une nuit dans la grande pyramide
Les chats du Caire, jusqu'alors assoupis, bâillèrent prodigieusement, puis détendirent à l'extrême les souples ressorts de leurs pattes de velours. Le crépuscule arrivait, heure où commence la véritable existence de la gent féline: conciliabules amicaux, chasse aux souris, combats singuliers, tendresses conjugales. Et moi aussi, c'est au crépuscule que j'allais me livrer à l'une des activités les plus étranges de ma vie, étrange, dis-je, encore que silencieuse.
J'avais formé le projet de passer une nuit entière à l'intérieur de la grande pyramide, de veiller, douze heures durant, assis dans la chambre du roi, cependant que les lentes ténèbres passeraient sur le monde africain. C'était fait. J'occupais l'abri le plus inimaginable qu'on ait jusqu'à ce jour édifié sur notre planète. Certes, je n'y étais pas arrivé sans peine. Bien que chacun pût librement approcher la grande pyramide, elle n'était pas la propriété du public. Elle appartenait, je m'en aperçus, au gouvernement égyptien. Il n'est pas plus possible au premier venu de circuler à l'intérieur et de passer dans l'une des chambres une nuit non réglementaire, que de pénétrer dans la maison d'autrui et de dormir dans sa meilleure chambre à coucher. Chaque fois qu'un visiteur veut pénétrer dans la pyramide, il lui faut, moyennant cinq piastres, acheter un ticket au département des antiquités. C'est donc là que je me rendis, et qu'avec optimisme je demandai la permission de passer une nuit à l'intérieur de la grande pyramide. Eussé-je sollicité l'autorisation de m'envoler à destination de la lune, le visage du fonctionnaire qui m'écoutait n'aurait pu exprimer plus intense stupéfaction. Je formulai un bref exposé justifiant et appuyant ma requête. De la surprise, le préposé passa à l'amusement; il se mit à sourire. Il me tenait, je le compris, pour un candidat très qualifié à l'entrée dans certaines institutions dont peu d'entre nous se soucieraient de devenir les habitants. Finalement, voici ce qu'il me dit: "Je n'ai jamais été saisi de semblable demande. Je ne crois pas avoir qualité pour l'accorder."
Il m'envoya à l'un de
ses supérieurs hiérarchiques du même département. La scène comique de son
bureau se reproduisit. Mon optimisme commençait à m'abandonner.
"Impossible!" déclara le second fonctionnaire, avec autant de fermeté que de bienveillance, convaincu qu'il était de se trouver en présence d'un doux lunatique. " C'est chose inouïe. je regrette." La voix trainait, et il haussait les épaules.
Il se leva pour m'accompagner à la porte de son bureau. Ce fout alors que ma faculté de persévérance entra hardiment en scène: je sus résister. Je me mis à discuter, persistant à renouveler ma requête par d'autres méthodes, et me refusant à quitter la place. Mon interlocuteur finit par se débarrasser de moi, en déclarant que le cas n'appartenait pas à la juridiction du département des antiquités. À laquelle donc? demandai-je. Il ne pouvait me le dire en toute certitude mais pensait que le mieux était de m'adresser à la police. Je compris combien ma requête était excentrique et suffisait à me caractériser comme déséquilibré à l'extrême. Néanmoins, je ne pouvais l'abandonner. Ma décision de la faire aboutir était devenue une obsession. Au quartier général de la police, je découvris une section des permis. Pour la troisième fois, je sollicitai humblement à passer une nuit dans la pyramide. Le policier, ne sachant que faire de moi m'envoya à son chef. Celui-ci demanda u petit délai pou examiner l'affaire. Quand je revins, le lendemain, il m'invita à me rendre au département des antiquités ! Je rentrai chez moi; à ce moment, je désespérais de parvenir à mes fins.
Mais "les difficultés sont souvent faites pour qu'on les surmonte". La banalité de ce proverbe anglais rebattu n'a d'égale que son impérissable vérité. À la réflexion, je m'avisai d'obtenir une entrevue avec le généreux commandant de la police municipale du Caire, El Lewa Russell Pacha. Je sortis de son cabinet muni d'un ordre écrit, qui prescrivait au chef de police du district comprenant la pyramide de me donner toute l'assistance nécessaire pour réaliser mon entreprise.
Je me rendis donc, à la tombée du soir, au bureau du major Mackersey, chef local de la police, station de Mena. J'eus à signer sur un registre qu'on me présenta; cela fait, la police répondait de ma sécurité jusqu'au lendemain. Un agent de la station fut détaché, pour m'accompagner jusqu'à la pyramide et donner des instructions au policeman armé qui monte la garde à l'extérieur du monument pendant la nuit. Comme nous nous serrions la main en nous quittant, le major Mackersey me dit plaisamment: "Nous assumons un risque en vous laissant là-dedans tout seul une nuit entière. vous ne voulez pas faire sauter la pyramide, je suppose ?
"Impossible!" déclara le second fonctionnaire, avec autant de fermeté que de bienveillance, convaincu qu'il était de se trouver en présence d'un doux lunatique. " C'est chose inouïe. je regrette." La voix trainait, et il haussait les épaules.
Il se leva pour m'accompagner à la porte de son bureau. Ce fout alors que ma faculté de persévérance entra hardiment en scène: je sus résister. Je me mis à discuter, persistant à renouveler ma requête par d'autres méthodes, et me refusant à quitter la place. Mon interlocuteur finit par se débarrasser de moi, en déclarant que le cas n'appartenait pas à la juridiction du département des antiquités. À laquelle donc? demandai-je. Il ne pouvait me le dire en toute certitude mais pensait que le mieux était de m'adresser à la police. Je compris combien ma requête était excentrique et suffisait à me caractériser comme déséquilibré à l'extrême. Néanmoins, je ne pouvais l'abandonner. Ma décision de la faire aboutir était devenue une obsession. Au quartier général de la police, je découvris une section des permis. Pour la troisième fois, je sollicitai humblement à passer une nuit dans la pyramide. Le policier, ne sachant que faire de moi m'envoya à son chef. Celui-ci demanda u petit délai pou examiner l'affaire. Quand je revins, le lendemain, il m'invita à me rendre au département des antiquités ! Je rentrai chez moi; à ce moment, je désespérais de parvenir à mes fins.
Mais "les difficultés sont souvent faites pour qu'on les surmonte". La banalité de ce proverbe anglais rebattu n'a d'égale que son impérissable vérité. À la réflexion, je m'avisai d'obtenir une entrevue avec le généreux commandant de la police municipale du Caire, El Lewa Russell Pacha. Je sortis de son cabinet muni d'un ordre écrit, qui prescrivait au chef de police du district comprenant la pyramide de me donner toute l'assistance nécessaire pour réaliser mon entreprise.
Je me rendis donc, à la tombée du soir, au bureau du major Mackersey, chef local de la police, station de Mena. J'eus à signer sur un registre qu'on me présenta; cela fait, la police répondait de ma sécurité jusqu'au lendemain. Un agent de la station fut détaché, pour m'accompagner jusqu'à la pyramide et donner des instructions au policeman armé qui monte la garde à l'extérieur du monument pendant la nuit. Comme nous nous serrions la main en nous quittant, le major Mackersey me dit plaisamment: "Nous assumons un risque en vous laissant là-dedans tout seul une nuit entière. vous ne voulez pas faire sauter la pyramide, je suppose ?
- Je ne vous promets
pas seulement cela, mais aussi de ne pas prendre la fuite en l'emportant.
- Je crains ajouta-t-il, que nous n'ayons à vous y enfermer. Chaque soir, on cadenasse l'entrée avec une grille de fer. Vous serez donc prisonnier pour douze heures.
- C'est parfait! Aujourd'hui, nulle résidence ne me plairait mieux que ce genre de prison..." On atteint la pyramide par une route ombragée bordée d'arbres appelés "labbek". Des maisons ne bordent cette route qu'à de rares intervalles. Finalement, elle gravit peu à peu le côté du plateau où s'élèvent les pyramides, et s'y achève en pente rapide. En parcourant l'avenue, je pensais que tous les voyageurs ayant suivi cette direction au cours des plusieurs siècles passés, rares avaient ceux qui venaient remplir une mission aussi curieuse que la mienne. Y en avait-il eu même un seul? Je gravis l'étroite colline de la rive occidentale du Nil où la grande pyramide et son bon compagnon, le sphinx, veillent en silence sur l'Afrique du Nord.
Le gigantesque monument me faisait face, tandis que je m'avançais sur un sol de sable et de pierres confondus. Une fois de plus, je considérais l'inclinaison de ces faces triangulaires qui délimitent la plus ancienne architecture actuellement connue en ce monde; je suivais des yeux la perspective des énormes blocs sur leur largeur décroissante de la base à la pointe. La parfaite simplicité de l'ensemble, dépourvue de toute trace d'ornementation, l'absence de la moindre courbe parmi ces lignes droites, n'enlèvent absolument rien à l'imposante splendeur qui s'y exprime.
Je pénétrai dans le muette pyramide par la brèche que creusa jadis sur son côté le calife Al Mamoun, et je commençai mon exploration du gigantesque édifice. J'y étais déjà venu, il est vrai, mais c'était maintenant la première fois que m'y amenait une recherche aussi étrange que celle à laquelle était dû mon retour en Egypte. Après avoir parcouru une certaine distance, j'atteignis l'extrémité de cet accès horizontal, et mon chemin fut remplacé par le passage même qui ouvrait à l'origine l'entrée de la pyramide. Alors, une torche à la main, courbant la tête presque jusqu'aux genoux, je descendis le prolongement du corridor. Longue pente, voie étroite, basse, abrupte, et glissante. Ma position était on ne peut plus gênante et inconfortable, à mesure que la déclivité du sol me contraignait à descendre plus vite que je ne l'eusse voulu.
Je désirais, avant mon séjour dans la chambre du roi, examiner la partie souterraine de la pyramide; on en a, aux temps modernes, barré l'accès par une herse de fer qui empêche le grand public d'entrer dans ce domaine lugubre et d'y être à demi suffoqué. Inopinément, je me remémorai le vieux dicton latin: facilis descensus averni, mais ces mots prenaient alors une allure de sombre ironie. À la lueur jaunâtre de ma torche, je ne voyais rien que le roc équarrit dans lequel avait été taillé le sol que foulaient mes pieds. Quand enfin je trouvai un petit réduit sur la droite, je saisis l'occasion de m'y glisser et de me redresser pendant quelques minutes. Je reconnus que cet emplacement marquait l'extrémité de la cavité presque perpendiculaire dite "le puits", qui part en descendant depuis la jonction du passage montant et de la grande galerie. Ce nom, le puits, est toujours resté en usage parce que, il y a environ deux mille ans, on le destinait à amener de l'eau. Le sol ne fut trouvé absolument sec que lorsque Caviglia eut déblayé la masse de débris qui l'obstruait. Plus étroite encore que le passage que je venais de quitter était cette ouverture, grossièrement creusée et rébarbative qui se présentait ainsi, béante, dans le dur rocher. J'y découvris de petites niches taillées dans les côtés, parallèles entre elles et qui, pour y poser les pieds et les mains, s'offraient à ceux qui tenteraient l'ascension non dépourvue de danger.
Cette voie conduisait en haut, irrégulière et parfois tortueuse, durant une distance considérable avant d'atteindre une grande chambre, taillée grossièrement, dont la forme rappelait celle d'un vase. C'est ce qu'on appelle maintenant la grotte. Elle marquait le niveau du plateau rocheux sur lequel fut élevée la pyramide. On la construisit en partie dans une fissure naturelle du roc, qui fut agrandie. Au-delà, le puits fut évidemment taillé dans la maçonnerie, et non pas édifié avec des blocs comme tous les autres passages situés au-dessus du sol. Le diamètre de cette partie du puits s'élargissait, ce qui rendait l'ascension plus difficile que dans la section plus étroite située sous la grotte.
Je finis par émerger de la cavité en atteignant l'ouverture qui en formait la bouche, et je me trouvais à l'angle nord-ouest de la grande galerie.
- Je crains ajouta-t-il, que nous n'ayons à vous y enfermer. Chaque soir, on cadenasse l'entrée avec une grille de fer. Vous serez donc prisonnier pour douze heures.
- C'est parfait! Aujourd'hui, nulle résidence ne me plairait mieux que ce genre de prison..." On atteint la pyramide par une route ombragée bordée d'arbres appelés "labbek". Des maisons ne bordent cette route qu'à de rares intervalles. Finalement, elle gravit peu à peu le côté du plateau où s'élèvent les pyramides, et s'y achève en pente rapide. En parcourant l'avenue, je pensais que tous les voyageurs ayant suivi cette direction au cours des plusieurs siècles passés, rares avaient ceux qui venaient remplir une mission aussi curieuse que la mienne. Y en avait-il eu même un seul? Je gravis l'étroite colline de la rive occidentale du Nil où la grande pyramide et son bon compagnon, le sphinx, veillent en silence sur l'Afrique du Nord.
Le gigantesque monument me faisait face, tandis que je m'avançais sur un sol de sable et de pierres confondus. Une fois de plus, je considérais l'inclinaison de ces faces triangulaires qui délimitent la plus ancienne architecture actuellement connue en ce monde; je suivais des yeux la perspective des énormes blocs sur leur largeur décroissante de la base à la pointe. La parfaite simplicité de l'ensemble, dépourvue de toute trace d'ornementation, l'absence de la moindre courbe parmi ces lignes droites, n'enlèvent absolument rien à l'imposante splendeur qui s'y exprime.
Je pénétrai dans le muette pyramide par la brèche que creusa jadis sur son côté le calife Al Mamoun, et je commençai mon exploration du gigantesque édifice. J'y étais déjà venu, il est vrai, mais c'était maintenant la première fois que m'y amenait une recherche aussi étrange que celle à laquelle était dû mon retour en Egypte. Après avoir parcouru une certaine distance, j'atteignis l'extrémité de cet accès horizontal, et mon chemin fut remplacé par le passage même qui ouvrait à l'origine l'entrée de la pyramide. Alors, une torche à la main, courbant la tête presque jusqu'aux genoux, je descendis le prolongement du corridor. Longue pente, voie étroite, basse, abrupte, et glissante. Ma position était on ne peut plus gênante et inconfortable, à mesure que la déclivité du sol me contraignait à descendre plus vite que je ne l'eusse voulu.
Je désirais, avant mon séjour dans la chambre du roi, examiner la partie souterraine de la pyramide; on en a, aux temps modernes, barré l'accès par une herse de fer qui empêche le grand public d'entrer dans ce domaine lugubre et d'y être à demi suffoqué. Inopinément, je me remémorai le vieux dicton latin: facilis descensus averni, mais ces mots prenaient alors une allure de sombre ironie. À la lueur jaunâtre de ma torche, je ne voyais rien que le roc équarrit dans lequel avait été taillé le sol que foulaient mes pieds. Quand enfin je trouvai un petit réduit sur la droite, je saisis l'occasion de m'y glisser et de me redresser pendant quelques minutes. Je reconnus que cet emplacement marquait l'extrémité de la cavité presque perpendiculaire dite "le puits", qui part en descendant depuis la jonction du passage montant et de la grande galerie. Ce nom, le puits, est toujours resté en usage parce que, il y a environ deux mille ans, on le destinait à amener de l'eau. Le sol ne fut trouvé absolument sec que lorsque Caviglia eut déblayé la masse de débris qui l'obstruait. Plus étroite encore que le passage que je venais de quitter était cette ouverture, grossièrement creusée et rébarbative qui se présentait ainsi, béante, dans le dur rocher. J'y découvris de petites niches taillées dans les côtés, parallèles entre elles et qui, pour y poser les pieds et les mains, s'offraient à ceux qui tenteraient l'ascension non dépourvue de danger.
Cette voie conduisait en haut, irrégulière et parfois tortueuse, durant une distance considérable avant d'atteindre une grande chambre, taillée grossièrement, dont la forme rappelait celle d'un vase. C'est ce qu'on appelle maintenant la grotte. Elle marquait le niveau du plateau rocheux sur lequel fut élevée la pyramide. On la construisit en partie dans une fissure naturelle du roc, qui fut agrandie. Au-delà, le puits fut évidemment taillé dans la maçonnerie, et non pas édifié avec des blocs comme tous les autres passages situés au-dessus du sol. Le diamètre de cette partie du puits s'élargissait, ce qui rendait l'ascension plus difficile que dans la section plus étroite située sous la grotte.
Je finis par émerger de la cavité en atteignant l'ouverture qui en formait la bouche, et je me trouvais à l'angle nord-ouest de la grande galerie.
Comment et quand fut-elle taillée au sein de la
pyramide? D'elle même, cette question s'imposa à moi. Comme j'y réfléchissais,
la réponse me frappa soudain. Les anciens Égyptiens qui, marquant la fin d'une
époque dans l'histoire de la pyramide, avaient bouché 'accès aux chambres
supérieures et à la grande galerie, au moyen de trois monstrueux tampons de
granit, avaient bien été obligés de se ménager eux-mêmes une issue; sinon, ils
fussent restés ensevelis vivants dans la pyramide.
Je savais, d'après mes propres recherches, que le puits et la grotte avaient été construits à la même époque que la pyramide elle-même, mais qu'alors le puits ne descendait pas plus bas que la grotte. Durant des milliers d'années, il n'y eut aucune jonction entre le passage supérieur et le passage souterrain. Lorsque la grande pyramide eut rempli le but mystérieux qui lui était assigné, les responsables la scellèrent. Scellement qu'avaient prévu les constructeurs à l'origine; ils avaient laissé en place le matériel nécessaire à cet effet, et même resserré l'extrémité inférieure du passage montant, pour qu'on y enserrât les trois tampons de granit. Ceux qui accomplirent ce dernier travail taillèrent la partie inférieure du puits dans le roc massif, pour se procurer une issue. Quand ils eurent achevé et se furent retirés, il suffit de condamner hermétiquement l'orifice de ce nouveau passage, au point où il joignait le passage descendant, puis de remonter la pente longue de trois cents pieds jusqu'à l'entrée primitive. Voilà comment le puits, créé d'abord pour atteindre la grotte, servit en dernier lieu à quitter la pyramide murée.
Je rejoignis par la voie la plus aisée le long tunnel incliné qui fait communiquer l'intérieur avec le monde extérieur, afin de reprendre mon voyage descendant vers le plateau rocheux de Gizéh. Soudain, dans un tournant, une ombre agrandie se projeta au travers de mon chemin; je reculai, tout saisi, avant de comprendre que c'était mon ombre même. Dans une atmosphère aussi fantastique, on s'attend à tout; les choses les plus étranges pourraient survenir. Glissant, rampant, je vins à bout de la distance relativement petite qui restait à parcourir, et j'éprouvai un sensible soulagement quand j'eus ainsi fini de descendre, pour me trouver sur un sol horizontal; il est vrai que c'était dans un tunnel encore plus étroit. J'y parcourus environ dix mètres en rampant, puis j'arrivai à l'entrée ouverte de la chambre la plus bizarre que j'eusse jamais vue. On l'appelle la fosse. Dans sa plus grande dimension, elle avait un peu moins de cinquante pieds d'un mur à l'autre.
Ce caveau obscur, situé exactement au-dessous du centre de la pyramide, produisait l'impression d'un ouvrage ayant été précipitamment abandonné; il semblait qu'on en eût interrompu l'achèvement, en cessant brusquement de tailler cette chambre dans le roc massif. Le plafond, pour sa part, était achevé, mais le sol présentait autant d'inégalités qu'une tranchée bombardée. Les anciens maçons égyptiens avaient coutume de procéder de haut en bas pour établir des voûtes dans le roc; la base était donc façonnée la dernière. Pourquoi celle d'ici n'aura-t-elle jamais été menée à bonne fin, tandis que, plus tard, il fallut au moins le travail de toute une vie pour construire la superstructure qui domine le niveau du roc ? Il y a là une énigme archéologique peut personne n'a jamais pu résoudre. Mais n'en doit-on pas dire autant de la pyramide entière ?Je dirigeai la lueur de ma torche sur les épaisseurs obscures et j'en concentrai un faisceau sur le milieu du sol. Je me rapprochai de ce point et j'y examinai curieusement le bord béant d'un trou profond, témoin muet jadis laissé là par les chasseurs de trésor; c'est en vain qu'ils avaient peiné à creuser une fosse dans la fosse. Les ailes d'une chauve-souris me frôlèrent désagréablement, comme elle parcourait cet espace pauvre en air. Dans le trou lui-même, je constatai que ma lumière troublait le sommeil de trois autres représentants de cette espèce, qui se tenaient accrochés sur les côtés rugueux de la pierre. En me déplaçant, j'en réveillai deux autres encore, suspendues au plafond. Alarmées, bouleversées, par la lumière que, sans pitié, je projetai sur elles, les chauves-souris voletaient en désordre et criaient; enfin, elles disparurent dans le noir du passage d'entrée. J'escaladai les bosses du sol accidenté et parvins à l'autre extrémité du caveau, où un petit tunnel se montrait dans le mur. Il était juste assez large pour donner passage à un homme, mais e, hauteur, il ne permettait que d'y ramper difficilement sur le ventre, dans une poussière déposée là depuis des milliers d'années.
Excursion dépourvue d'agrément. Je m'y soumis, afin de pouvoir examiner l'extrémité du tunnel. Après avoir pénétré dans le roc sur une longueur d'environ vingt mètres, il s'achevait brusquement; apparemment, comme la fosse, ce tunnel était resté inachevé. Presque suffoqué, je revins sur mes pas et regagnai la fosse sans air; j'en considérai une dernière fois l'ensemble, puis je pris la route du retour vers les régions supérieures de la pyramide. Quand j'atteignis le commencement du passage peu élevé de plafond qui montait suivant une ligne parfaitement droite de trois cent cinquante pieds de roc, avant de continuer en un corridor traversant la maçonnerie, je m'étendis sur le sol et , par l'ouverture que je comparais à la lentille d'un immense télescope, je levai mes yeux vers le ciel enténébré. Un point d'argent, scintillant, facile à apercevoir sur le vaste fond bleu indigo, m'y apparut; c'était l'étoile Polaire. La boussole attachée à mon poignet me permit de repérer la direction: tout juste le nord. L'ouvrage des premiers constructeurs avait su joindre à la grandeur la précision. Je repris ma marche rampante pour gravir le chemin escarpé et parvins enfin au corridor horizontal qui mène à la chambre de la reine. Une vingtaine de grands pas et j'y étais, considérant le plafond voûté et sa ligne droite médiane. Deux conduits de ventilation s'inclinaient vers le haut, partant des murs nord et sud. Ceci démontrait clairement que la chambre n'avait jamais été une tombe, mais que les vivants entendaient s'en servir. Lorsqu'on découvrit ces conduits en 1872, ils posèrent à beaucoup d'esprits une énigme, car ils s'arrêtaient à cinq pouces au-dessous de la chambre. Dans cet état, ils n'auraient donc pas pu y amener de l'air. Avaient-ils eu quelque autre destination inconnue? La meilleure explication, la voici: le temps sera venu où ils eurent rempli l'objet qu'on leur avait assigné; alors, comme pour tout le reste des accès supérieurs dans la pyramide, on en scella complètement les orifices, par de nouveaux blocs de pierre. C'est Waynman-Dixon, un ingénieur civil alors employé à certains travaux dans le voisinage de la pyramide, qui découvrit par hasard ces tubes d'air, un jour qu'en simple curieux il examinait les murs de la chambre de la reine. Il remarqua que l'un des murs, qui sonnait creux en un endroit déterminé, paraissait aussi légèrement lézardé. Il fit percer cette place et, à cinq pouces de la surface, il trouva un mince tube. Le même procédé lui en fit découvrir le pendant sur le mur opposé. Les deux conduits se dirigeaient tout droit à travers le gros œuvre de la pyramide. Ceci fut démontré plus tard, au moyen de baguettes métalliques témoins qu'on y inséra sur une longueur d'environ 200 pieds.
Je repris le corridor horizontal et me dirigeai vers l'endroit où il rencontre la grande galerie. Ensuite je parcourus lentement 150 pieds jusqu'au sommet de cette pente raide. Chemin faisant, une petite impression de faiblesse, causée par trois jours de jeûne, commença à me troubler. Enfin, je m'arrêtai quelques secondes sur le degré terminal, haut de 3 pieds, qui coupe exactement l'axe vertical de la pyramide. Quelques pas encore à travers l'antichambre, je me baissai forcément sous le bloc de granit qui descend des murs latéraux à rainures, fermant l'issue du corridor horizontal, et j'avais atteint la chambre principale de la pyramide, la fameuse chambre du roi.
Ici également, la présence de 2 tubes à airs, chacun d'environ 9 pouces carrés, ruinait la théorie de la tombe. Si l'orifice des conduits de la chambre n'avait jamais été scellé comme dans le cas précédent, du moins les avait-on complètement comblés de pierres détachées, que le colonel Vyse eut à extraire lorsqu'il voulut déterminer la nature de ces conduits. Il est extrêmement probable que cette obstruction fut réalisée à la même époque que toutes les autres mesures prises pour boucher les aménagements intérieurs, dans la partie du monument située au-dessus du niveau du sol. Je projetai ma lumière sur les murs nus et le plafond uni, admirant une fois de plus l'ajustement parfait de ces énormes blocs de granit poli; puis je me mis à tourner lentement tout autour, pour examiner chacune des pierres l'une après l'autre. Pour façonner ces blocs, l'on avait fendu en deux les rochers de nuance ocre extraits de la lointaine Syène. Cà et là, sur le sol comme sur les murs restaient les cicatrices laissées par les vaines investigations des chercheurs de trésor. Les dalles, sur le côté est du pavage, avaient en partie disparu, remplacées par de la terre battue, tandis qu'au nord-ouest, un profond trou rectangulaire restait béant. Appuyé contre l'un de ces murs, se dressait un long bloc de pierre rugueuse, ayant jadis fait partie du pavage et abandonné là fortuitement par les mains de quelque vieil Arabe. Quelques pouces à peine plus loin, parallèle à ce bloc, se trouvait le sarcophage aux côtés unis, bien comparable à un cercueil. Dépourvu de couvercle, isolé, c'était l'unique objet rompant le vide le la vaste chambre. Il occupait exactement la direction nord-sud. Le bloc arraché au sol pouvait servir de siège. Je m'y installai donc, assis en tailleur, les jambes repliées, et je me disposai à passer là le reste de la nuit. À ma droite, j'avais posé mon chapeau, ma jaquette et mes souliers; à ma gauche, la torche toujours allumée, une bouteille thermos contenant du thé chaud, deux flacons d'eau frappée, mon carnet de notes et mon stylographe. Un dernier regard autour de la chambre, puis sur le coffre vide, mon voisin, et alors j'éteignis mon flambeau.
Je gardais à côté de moi une puissante lampe électrique prête à être utilisée. En tombant soudain dans la nuit noire, je ne pouvais que me demander intensément: que va-t-il l m'arriver jusqu'au matin? Une seule chose me restait possible en ces étranges conjonctures: attendre, attendre, attendre... Les minutes s'écoulaient lentement, tandis que, tout aussi lentement, je "sentais" que cette chambre du roi était douée d'une puissante atmosphère pour laquelle je ne trouve qu'une épithète: "psychique".
Car, délibérément, j'avais rendu mon esprit réceptif, ma sensibilité passive, mon attitude négative, de manière à pouvoir enregistrer à la perfection toute éventualité dépassant le domaine de la réalité physique. J'en voulais que nul préjugé personnel, nul parti pris ne m'empêchât d'accueilli ce qui pourrait m'arriver de quelque source fermée à nos cinq sens. De proche en proche j'amenuisai le cours de mes pensées jusqu'à ce qu'en mon esprit le vide se fût à demi établi. Le silence qui descendait ainsi sur mon cerveau m'apportait avec acuité la connaissance d'un autre silence, celui qui descendait sur ma vie. Le monde, avec son tumulte et son agitation, m'était devenu aussi lointain que s'il n'eût jamais existé. Pas un son, pas un souffle ne m'arrivait des ténèbres. En vérité, l'empire des pyramides a pour souverain le silence, un silence qui date de l'antiquité préhistorique et qu'aucun babil des touristes ne saurait à proprement parler interrompre, puisque chaque nuit le ramène, intégral, inspirant la crainte la plus respectueuse.
Je ma mis à observer l'imposante atmosphère de la chambre. Les personnes sensibles réalisent couramment cette expérience, parfaitement normale, dans les demeures anciennes. Ma propre expérience débuta par quelque chose d'analogue. Plus le temps passait, plus s'approfondissait, plus 'intensifiait en moi l'antiquité démesurée qui m'enveloppait, plus le je sentais que le 20ième siècle allait se dérobant, s'évanouissant sous mes pieds. Docile à la résolution que je m'étais imposée, je n'opposai à ce sentiment aucune résistance: loin de là, je la laissai redoubler de force. En moi commença à s'insinuer le soupçon étrange d'une présence rompant ma solitude. Sous le voile de la totale obscurité, je sentais que quelque chose d'animé, de vivant, se mettait à palpiter, prenait naissance. Sensation vague, mais réelle. Unie au sens croissant du retour du paddé, elle me donnait précisément conscience de ce je ne sais quoi que j'appelle "psychique".
Toutefois, rien de défini, de clairement délimité, ne se dégageait de ce sentiment vague et général d'une présence étrange, respirant à travers les ténèbres. Les heures glissaient l'un après l'autre, amenant, contrairement à mon attente, un refroidissement croissant. L'effet du jeûne de 3 jours, auquel je m'étais soumis pour intensifier ma sensibilité, se manifestait maintenant par des frissons de plus en plus marqués. Par des étroits conduits de ventilation, l'air froid, pénétrant dans la chambre du roi, s'insinuait sous la mince protection de mes vêtements légers. Je me mis à grelotter. Me levant; je passai ma jaquette, déposée peu d'heures auparavant dans l'attente d'une chaleur des plus fortes. Mais voilà ce que nous réserve l'Orient en certaines stations. Température torride pendant le jour, lourde chute du thermomètre pendant la nuit.
Jusqu'à ce jour, l'orifice des conduits d'aération n'a été découvert nulle part à la surface extérieure de la pyramide, bien qu'on en connaisse l'aire approximative. Certains égyptologues que la canalisation ait été poussée jusqu'au dehors. Mais le total refroidissement de l'air intérieur durant ma veille tranche cette question.
Je repris ma place sur mon siège de pierre et m'abandonnai derechef à l'accablant, au mortel silence, ainsi qu'à l'inexprimable obscurité. L'âme docile, je veillais. Sans aucun motif je vins à ma rappeler que là-bas, quelque part à l'est, le canal de Suez persistait à tracer sa ligne droite au milieu des sables et des marais, et puis je pensai au Nil, majestueuse épine dorsale du pays.
Le silence, sépulcral, le cercueil de pierre vide à mes côtés n'étaient pas faits pour tranquilliser mes nerfs, alors que l'interruption de ma veille semblait avoir rompu autre chose aussi; en effet, je m'aperçus très vite que le soupçon d'une vie invisible présente autour de moi passait à l'état de la pleine certitude. Oui, il y avait tout près de moi quelque chose de palpitant, de vivant, encore que je ne puisse voir quoi que ce soit. Je me sentis alors soudainement accablé en me représentant ma solitude et ses dangers. Ainsi je me trouvais là, assis tout seul dans une chambre indéfinissable mais perchée à plus de 200 pieds au-dessus du sol, considérablement plus haut que le million d'habitants du Caire, au milieu d'impénétrables ténèbres, sous clef, incarcéré en cet étrange monument, au seuil d'un désert qui s'en va couvrir des centaines de miles, ce pendant qu'auprès de ma prison - le plus vieil édifice du monde, probablement, s'étendaient, pêle-mêle, tant de tombes farouches, nécropole d'une ancienne capitale.
Sous mes yeux qui avaient scruté à fond le monde psychique, mystères occultes, sorcelleries et magies de l'Orient, la vaste chambre du roi se peupla d'êtres invisibles, d'esprits préposés à la garde du vénérable monument.
À chaque instant, il semblait qu'une voix spectrale allait s'élever du sein de l'immense silence. Maintenant je rendais grâce aux constructeurs des étroits conduits d'air, versant dans l'antique salle leur faible mais constante ventilation rafraichissante. Qu'importe que l'air ait à traverser près de trois cents pieds avant d'y parvenir, il était toujours le bienvenu. Je suis accoutumé à la solitude, elle me plaît, j'aime en jouir; mais celle de cette chambre avait quelque chose de périlleux, de terrifiant.
L'obscurité, où tout s'absorbait, commençait à peser sur ma tête comme une masse de fer. En moi tremblait l'ombre d'une crainte inutile. Je la balayais instantanément. Ce n'est pas le courage physique dont il est besoin pour séjourner au coeur de la déserte pyramide, c'est quelque fortitude morale. Selon toute vraisemblance, aucun serpent ne sortirait d'un trou ou d'une crevasse; nul trimardeur ne s'y réfugie à la tombée de la nuit. En fait, voici les seules manifestations de la vie animale qui s'offre à ma vue: une souris effarouchée, rencontrée au commencement de la soirée dans le passage horizontal, se précipita de tous les côtés entre les murs dépourvus de fente où disparaître; à toute force, il lui fallait échapper, hors de la portée de la terrible lueur de ma torche; ensuite, j'avais découvert deux lézards, dont la teinte jaunâtre trahissait leur âge incroyablement avancé; ils rampaient au plafond de l'étroite saillie qui sort de la niche dans la chambre de la reine;, en dernier lieu, ce furent les chauves-souris du caveau souterrain. Je dois ajouter, il est vrai, que quelques criquets avaient émis leur chant non sans force lorsque j'entrai dans la grande galerie, mais ceci s'arrêta promptement. Et maintenant, le silence inviolé tenait la pyramide entière comme captive? Rien de ce qui ressortit du monde physique ne pouvait me causer aucun mal. Mais malgré tout, un vague sentiment de malaise, comme si des yeux invisibles me guettaient là, quelque part, m'envahit pour la seconde fois. Quel mystère de rêve, quelle irréalité fantomatique possédait donc ce séjour!... Certaines vibrations de l'énergie, du son, de la lumière, échappent à l'ordre normal de nos capacités réceptives. Chansons amusantes et graves discours parviennent, à travers le monde, aux auditeurs de la T.S.F., mais ceux-ci n'en percevaient rien si leur appareil enregistreur n'était pas convenablement branché. De ma veille purement réceptive je m'étais libéré, pour y substituer toute la force d'une concentration d'esprit imposant à ma pleine attention un effort destiné à percer le noir silence qui m'entourait.
Si, de cette intense concentration intérieure, il résulta que ma faculté d'observation fut portée à une extension anormale, m'était-il dès lors impossible de surprendre la présence de forces invisibles? Qui le prétendrait?
Tout ce que je sais, c'est que lorsque je "me branchai", par une méthode d'attention intériorisée à laquelle je m'étais initié longtemps avant ce second voyage en Égypte, je me rendis compte que des forces hostiles avaient envahi la chambre. Il y avait, s'approchant, quelque chose que je ressentais comme néfaste, dangereux. Une peur sans nom s'agitait en mon cœur; chassée, elle revenait à de brefs intervalles. Je persistais à appliquer ma méthode de concentration intense, à direction unique et intérieure, la sensibilité suivant sa pente accoutumée et se transformant en vision. Des ombres se mirent à voltiger ça et là dans la salle où ne pouvait s'en tracer aucune. Peu à peu, elles prirent une forme plus définie; il apparut soudain des figures malveillantes, tout près de son propre visage. Devant les yeux de mon esprit s'élevaient directement des images sinistres. Puis ce fut une apparition noire qui s'avança, fixant sur moi un regard méchant et dressant les mains en geste de menace, comme pour m'inspirer un respect mêlé de terreur. Des esprits d'un âge incalculable semblaient s'être glissés jusque-là depuis la nécropole voisine, une nécropole si vieille que des momies y tombent en poussière dans leurs sarcophages de pierre; c'étaient les ombres accrochées à ces antiques défunts qui faisaient leur fâcheuse apparition sur le théâtre de ma veille. Toutes les légendes des spectres néfastes qui hantent les parages des pyramides me revenaient à la mémoire, avec les mêmes détails déplaisants qui les caractérisent quand elles vous sont racontées par les Arabes d'un village peu éloigné. Quand j'avais dit à un jeune ami arabe que j'avais l'intention de passer une nuit dans la pyramide, il s'était efforcé de m'en dissuader. "Chaque pouce est hanté, m'assura-t-il pour me mettre en garde. Ce territoire compte toute une armée de fantômes et de génies."
L'avertissement n'était pas superflu, je pouvais maintenant le constater. Des figures spectrales s'étaient mises à ramper dans mon noir séjour, elles y tournaient partout; l'indéfinissable sentiment de malaise qui m'avait précédemment saisi recevait pleine et entière justification. Sous une pareille tension, vers le milieu de cette chose inerte qu'était mon corps, je m'aperçus que mon cœur battait comme un marteau. La crainte surnaturelle, qui nous guette tous tant que nous sommes, mordait sur moi une fois encore. Crainte, peur, horreur me présentaient tour à tour leur méchante face. Involontairement, mes mains se serraient avec l'étreinte d'un étau. Mais j'étais décidé à passer outre; quoique ces formes fantomatiques aient d'abord ébranlé en moi une sensation de frayeur, elles finirent par m'amener à mobiliser toutes les réserves de courage et de combativité que je pusse réunir.
Mes yeux restaient clos, cependant que toutes ces formes grises, glissantes, vaporeuses s'imposaient à ma vision. Et toujours leur implacable hostilité, leur atroce acharnement à m'empêcher de suivre ma résolution. Un cercle entier d'adversaires m'entourait. Il eût été facile d'en venir à bout en allumant la lumière, ou en me dressant debout pour sortir en hâte de la chambre et courir durant quelques centaines de pieds jusqu'à la grille d'entrée, où le gardien armé m'eût assuré un vivant réconfort. L'épreuve subie m'imposait une forme subtile de torture, elle harcelait mon âme, tandis que mon corps restait intact. Mais également implacable était en moi je ne sais quel commandement, m'imposant de traverser cette étape jusqu'au bout. Le paroxysme arriva enfin. Des espèces monstrueuses, indéfinissables, de sinistres, d'infernales horreurs, des formes à l'aspect baroque, grotesque, fou, démoniaque fourmillaient autour de moi; la répulsion qu'elles m'inspiraient m'infligeait une inimaginable souffrance. En quelques minutes, j'ai vécu là des émotions dont le souvenir ne m'abandonnera en aucun temps. Cette scène incroyable demeure photographiée en haut-relief dans ma mémoire. Pour rien au monde je ne tenterais de renouveler pareille expérience; jamais plus je n'établirai ma demeure nocturne au sein de la grande pyramide.
La fin surgit avec une brusquerie saisissante. Les détestables envahisseurs fantomatiques disparurent dans l'obscurité d'où ils avaient émergé. Ils s'évanouirent dans le sombre royaume des trépassés, entraînant avec eux tout le cortège de leurs pernicieuses horreurs. Mes nerfs, à demi brisés, éprouvèrent un soulagement aussi immense que ceux d'un soldat quand s'arrête tout-à-coup un formidable bombardement. Je ne sais combien de temps s'écoula alors, jusqu'à ce que je prisse conscience d'une présence nouvelle dans ma chambre. C'était quelqu'un de bienveillant, une figure amicale, qui se tenait à l'entrée et posait sur moi des regards pleins de bonté. Son arrivée marqua un changement total de l'atmosphère. Changement en mieux. Avec lui arrivait quelque chose de net et de sain. Un nouvel élément commença à influencer mon être sensible, qui restait accablé. Ce fut l'apaisement, le retour au calme. L'apparition s'approcha de mon siège de pierre; je vis qu'une autre la suivait. Toutes deux se tinrent à mes côtés et me considérèrent avec gravité; leurs regards étaient lourds de signification prophétique; je sentis qu'une heure importante de ma vie approchait.
Ces deux êtres revêtaient dans ma vision un aspect inoubliable. Leurs robes blanches, leurs sandales, la sagesse emprunte sur leurs traits, leur haute stature, tout cela me revint instantanément à l'esprit. En outre, ils portaient les insignes indiscutables de leur charge; on reconnaissait donc en eux des grands prêtres de l'ancien culte égyptien. Une clarté légère qui les entourait se répandait fort étrangement sur une partie de la salle. En vérité, ils semblaient être plus que des hommes; ils avaient la splendeur des demi-dieux; leur face respirait un calme sans égal, le calme du cloître. Ils se tenaient immobiles comme des statues; ils me considéraient , les mains jointes sur la poitrine; ils gardaient un silence absolu. Étais-je en activité dans une quatrième dimension de l'espace, réveillé pour observer un passé immémorial? Mon sens du temps avait-il reculé jusqu'aux jours de la primitive Égypte? Non, impossible, car je percevais nettement que ces deux êtres pouvaient me voir; ils étaient même sur le point de m'adresser la parole. Leurs hautes figures se penchèrent en avant, les lèvres de l'un d'eux parurent bouger, son visage tout près du mien; ses yeux brillaient d'une flamme immatérielle. Sa voix résonna à mon oreille. "Pourquoi es-tu venu en ce lieu, cherchant à évoquer les puissances secrètes? Les voies des mortels ne te suffisent-elles pas?" me demanda-t-il. Ce n'est pas le sens physique de l'ouïe qui m'apporta ces paroles; il est certain qu'aucune vibration sonore n'avait troublé le silence ambiant. Mais il me semblait les entendre de la même manière qu'un sourd, muni d'un appareil électrique, peut percevoir les mots résonnant contre son tympan, toutefois avec cette différence qu'il les entend à l'intérieur de cet organe. La voix qui me parvenait, on pourrait vraiment l'appeler voix mentale, car, entendue évidemment dans mon oreille, elle n'était pas moins susceptible de produire l'impression d'une simple pensée. Or rien ne serait plus erroné. C'était une voix. Je répondis: "Non!" Il me dit: "Le mouvement de maintes multitudes rassure, dans les villes, le coeur de l'homme qui tremble. Pars, retourne te mêler à tes amis, et tu auras vite oublié l'insignifiant caprice qui t'amena ici." "Je ne le puis", répétai-je. Il fit un nouvel effort. "Le sentier du rêve te dérobera au bercail de la raison. Certains s'y sont aventurés, qui revinrent insensés. Retourne, pendant qu'il est encore temps, retourne suivre le chemin assigné aux pas des mortels." Mais je hochai la tête et murmurai:" Il me faut suivre ce chemin-ci; il n'en est pas d'autres pour moi." Le prêtre se rapprocha encore et pencha de nouveau sa face vers mon siège. Je vis son visage de vieillard se profilant sur l'entourage ténébreux. Il chuchota contre mon oreille: "Quiconque entre en contact avec nous perd toute parenté avec le monde. Es-tu capable de marcher seul ?" "Je ne sais", répondis-je. Il murmura de nouveau: "Viens avec moi; puis, quand tu auras vu, donne ta nouvelle réponse." Alors je vis, comme dans une vision lointaine, le dédale des rues d'une grande ville. Ce spectacle se rapprocha avec rapidité, jusqu'à ce que j'aie remarqué, au tout premier plan, une vieille maison, proche d'une place fermée avec une grille. J'y vis une obscure cage d'escalier, qui menait à un galetas sous le toit. Mon interlocuteur spectral m'apparut soudainement en cet endroit, assis au chevet d'un vieillard dont la chevelure en désordre et l'inculte barbe grise cadraient bien avec la rudesse de ses traits.
Je savais, d'après mes propres recherches, que le puits et la grotte avaient été construits à la même époque que la pyramide elle-même, mais qu'alors le puits ne descendait pas plus bas que la grotte. Durant des milliers d'années, il n'y eut aucune jonction entre le passage supérieur et le passage souterrain. Lorsque la grande pyramide eut rempli le but mystérieux qui lui était assigné, les responsables la scellèrent. Scellement qu'avaient prévu les constructeurs à l'origine; ils avaient laissé en place le matériel nécessaire à cet effet, et même resserré l'extrémité inférieure du passage montant, pour qu'on y enserrât les trois tampons de granit. Ceux qui accomplirent ce dernier travail taillèrent la partie inférieure du puits dans le roc massif, pour se procurer une issue. Quand ils eurent achevé et se furent retirés, il suffit de condamner hermétiquement l'orifice de ce nouveau passage, au point où il joignait le passage descendant, puis de remonter la pente longue de trois cents pieds jusqu'à l'entrée primitive. Voilà comment le puits, créé d'abord pour atteindre la grotte, servit en dernier lieu à quitter la pyramide murée.
Je rejoignis par la voie la plus aisée le long tunnel incliné qui fait communiquer l'intérieur avec le monde extérieur, afin de reprendre mon voyage descendant vers le plateau rocheux de Gizéh. Soudain, dans un tournant, une ombre agrandie se projeta au travers de mon chemin; je reculai, tout saisi, avant de comprendre que c'était mon ombre même. Dans une atmosphère aussi fantastique, on s'attend à tout; les choses les plus étranges pourraient survenir. Glissant, rampant, je vins à bout de la distance relativement petite qui restait à parcourir, et j'éprouvai un sensible soulagement quand j'eus ainsi fini de descendre, pour me trouver sur un sol horizontal; il est vrai que c'était dans un tunnel encore plus étroit. J'y parcourus environ dix mètres en rampant, puis j'arrivai à l'entrée ouverte de la chambre la plus bizarre que j'eusse jamais vue. On l'appelle la fosse. Dans sa plus grande dimension, elle avait un peu moins de cinquante pieds d'un mur à l'autre.
Ce caveau obscur, situé exactement au-dessous du centre de la pyramide, produisait l'impression d'un ouvrage ayant été précipitamment abandonné; il semblait qu'on en eût interrompu l'achèvement, en cessant brusquement de tailler cette chambre dans le roc massif. Le plafond, pour sa part, était achevé, mais le sol présentait autant d'inégalités qu'une tranchée bombardée. Les anciens maçons égyptiens avaient coutume de procéder de haut en bas pour établir des voûtes dans le roc; la base était donc façonnée la dernière. Pourquoi celle d'ici n'aura-t-elle jamais été menée à bonne fin, tandis que, plus tard, il fallut au moins le travail de toute une vie pour construire la superstructure qui domine le niveau du roc ? Il y a là une énigme archéologique peut personne n'a jamais pu résoudre. Mais n'en doit-on pas dire autant de la pyramide entière ?Je dirigeai la lueur de ma torche sur les épaisseurs obscures et j'en concentrai un faisceau sur le milieu du sol. Je me rapprochai de ce point et j'y examinai curieusement le bord béant d'un trou profond, témoin muet jadis laissé là par les chasseurs de trésor; c'est en vain qu'ils avaient peiné à creuser une fosse dans la fosse. Les ailes d'une chauve-souris me frôlèrent désagréablement, comme elle parcourait cet espace pauvre en air. Dans le trou lui-même, je constatai que ma lumière troublait le sommeil de trois autres représentants de cette espèce, qui se tenaient accrochés sur les côtés rugueux de la pierre. En me déplaçant, j'en réveillai deux autres encore, suspendues au plafond. Alarmées, bouleversées, par la lumière que, sans pitié, je projetai sur elles, les chauves-souris voletaient en désordre et criaient; enfin, elles disparurent dans le noir du passage d'entrée. J'escaladai les bosses du sol accidenté et parvins à l'autre extrémité du caveau, où un petit tunnel se montrait dans le mur. Il était juste assez large pour donner passage à un homme, mais e, hauteur, il ne permettait que d'y ramper difficilement sur le ventre, dans une poussière déposée là depuis des milliers d'années.
Excursion dépourvue d'agrément. Je m'y soumis, afin de pouvoir examiner l'extrémité du tunnel. Après avoir pénétré dans le roc sur une longueur d'environ vingt mètres, il s'achevait brusquement; apparemment, comme la fosse, ce tunnel était resté inachevé. Presque suffoqué, je revins sur mes pas et regagnai la fosse sans air; j'en considérai une dernière fois l'ensemble, puis je pris la route du retour vers les régions supérieures de la pyramide. Quand j'atteignis le commencement du passage peu élevé de plafond qui montait suivant une ligne parfaitement droite de trois cent cinquante pieds de roc, avant de continuer en un corridor traversant la maçonnerie, je m'étendis sur le sol et , par l'ouverture que je comparais à la lentille d'un immense télescope, je levai mes yeux vers le ciel enténébré. Un point d'argent, scintillant, facile à apercevoir sur le vaste fond bleu indigo, m'y apparut; c'était l'étoile Polaire. La boussole attachée à mon poignet me permit de repérer la direction: tout juste le nord. L'ouvrage des premiers constructeurs avait su joindre à la grandeur la précision. Je repris ma marche rampante pour gravir le chemin escarpé et parvins enfin au corridor horizontal qui mène à la chambre de la reine. Une vingtaine de grands pas et j'y étais, considérant le plafond voûté et sa ligne droite médiane. Deux conduits de ventilation s'inclinaient vers le haut, partant des murs nord et sud. Ceci démontrait clairement que la chambre n'avait jamais été une tombe, mais que les vivants entendaient s'en servir. Lorsqu'on découvrit ces conduits en 1872, ils posèrent à beaucoup d'esprits une énigme, car ils s'arrêtaient à cinq pouces au-dessous de la chambre. Dans cet état, ils n'auraient donc pas pu y amener de l'air. Avaient-ils eu quelque autre destination inconnue? La meilleure explication, la voici: le temps sera venu où ils eurent rempli l'objet qu'on leur avait assigné; alors, comme pour tout le reste des accès supérieurs dans la pyramide, on en scella complètement les orifices, par de nouveaux blocs de pierre. C'est Waynman-Dixon, un ingénieur civil alors employé à certains travaux dans le voisinage de la pyramide, qui découvrit par hasard ces tubes d'air, un jour qu'en simple curieux il examinait les murs de la chambre de la reine. Il remarqua que l'un des murs, qui sonnait creux en un endroit déterminé, paraissait aussi légèrement lézardé. Il fit percer cette place et, à cinq pouces de la surface, il trouva un mince tube. Le même procédé lui en fit découvrir le pendant sur le mur opposé. Les deux conduits se dirigeaient tout droit à travers le gros œuvre de la pyramide. Ceci fut démontré plus tard, au moyen de baguettes métalliques témoins qu'on y inséra sur une longueur d'environ 200 pieds.
Je repris le corridor horizontal et me dirigeai vers l'endroit où il rencontre la grande galerie. Ensuite je parcourus lentement 150 pieds jusqu'au sommet de cette pente raide. Chemin faisant, une petite impression de faiblesse, causée par trois jours de jeûne, commença à me troubler. Enfin, je m'arrêtai quelques secondes sur le degré terminal, haut de 3 pieds, qui coupe exactement l'axe vertical de la pyramide. Quelques pas encore à travers l'antichambre, je me baissai forcément sous le bloc de granit qui descend des murs latéraux à rainures, fermant l'issue du corridor horizontal, et j'avais atteint la chambre principale de la pyramide, la fameuse chambre du roi.
Ici également, la présence de 2 tubes à airs, chacun d'environ 9 pouces carrés, ruinait la théorie de la tombe. Si l'orifice des conduits de la chambre n'avait jamais été scellé comme dans le cas précédent, du moins les avait-on complètement comblés de pierres détachées, que le colonel Vyse eut à extraire lorsqu'il voulut déterminer la nature de ces conduits. Il est extrêmement probable que cette obstruction fut réalisée à la même époque que toutes les autres mesures prises pour boucher les aménagements intérieurs, dans la partie du monument située au-dessus du niveau du sol. Je projetai ma lumière sur les murs nus et le plafond uni, admirant une fois de plus l'ajustement parfait de ces énormes blocs de granit poli; puis je me mis à tourner lentement tout autour, pour examiner chacune des pierres l'une après l'autre. Pour façonner ces blocs, l'on avait fendu en deux les rochers de nuance ocre extraits de la lointaine Syène. Cà et là, sur le sol comme sur les murs restaient les cicatrices laissées par les vaines investigations des chercheurs de trésor. Les dalles, sur le côté est du pavage, avaient en partie disparu, remplacées par de la terre battue, tandis qu'au nord-ouest, un profond trou rectangulaire restait béant. Appuyé contre l'un de ces murs, se dressait un long bloc de pierre rugueuse, ayant jadis fait partie du pavage et abandonné là fortuitement par les mains de quelque vieil Arabe. Quelques pouces à peine plus loin, parallèle à ce bloc, se trouvait le sarcophage aux côtés unis, bien comparable à un cercueil. Dépourvu de couvercle, isolé, c'était l'unique objet rompant le vide le la vaste chambre. Il occupait exactement la direction nord-sud. Le bloc arraché au sol pouvait servir de siège. Je m'y installai donc, assis en tailleur, les jambes repliées, et je me disposai à passer là le reste de la nuit. À ma droite, j'avais posé mon chapeau, ma jaquette et mes souliers; à ma gauche, la torche toujours allumée, une bouteille thermos contenant du thé chaud, deux flacons d'eau frappée, mon carnet de notes et mon stylographe. Un dernier regard autour de la chambre, puis sur le coffre vide, mon voisin, et alors j'éteignis mon flambeau.
Je gardais à côté de moi une puissante lampe électrique prête à être utilisée. En tombant soudain dans la nuit noire, je ne pouvais que me demander intensément: que va-t-il l m'arriver jusqu'au matin? Une seule chose me restait possible en ces étranges conjonctures: attendre, attendre, attendre... Les minutes s'écoulaient lentement, tandis que, tout aussi lentement, je "sentais" que cette chambre du roi était douée d'une puissante atmosphère pour laquelle je ne trouve qu'une épithète: "psychique".
Car, délibérément, j'avais rendu mon esprit réceptif, ma sensibilité passive, mon attitude négative, de manière à pouvoir enregistrer à la perfection toute éventualité dépassant le domaine de la réalité physique. J'en voulais que nul préjugé personnel, nul parti pris ne m'empêchât d'accueilli ce qui pourrait m'arriver de quelque source fermée à nos cinq sens. De proche en proche j'amenuisai le cours de mes pensées jusqu'à ce qu'en mon esprit le vide se fût à demi établi. Le silence qui descendait ainsi sur mon cerveau m'apportait avec acuité la connaissance d'un autre silence, celui qui descendait sur ma vie. Le monde, avec son tumulte et son agitation, m'était devenu aussi lointain que s'il n'eût jamais existé. Pas un son, pas un souffle ne m'arrivait des ténèbres. En vérité, l'empire des pyramides a pour souverain le silence, un silence qui date de l'antiquité préhistorique et qu'aucun babil des touristes ne saurait à proprement parler interrompre, puisque chaque nuit le ramène, intégral, inspirant la crainte la plus respectueuse.
Je ma mis à observer l'imposante atmosphère de la chambre. Les personnes sensibles réalisent couramment cette expérience, parfaitement normale, dans les demeures anciennes. Ma propre expérience débuta par quelque chose d'analogue. Plus le temps passait, plus s'approfondissait, plus 'intensifiait en moi l'antiquité démesurée qui m'enveloppait, plus le je sentais que le 20ième siècle allait se dérobant, s'évanouissant sous mes pieds. Docile à la résolution que je m'étais imposée, je n'opposai à ce sentiment aucune résistance: loin de là, je la laissai redoubler de force. En moi commença à s'insinuer le soupçon étrange d'une présence rompant ma solitude. Sous le voile de la totale obscurité, je sentais que quelque chose d'animé, de vivant, se mettait à palpiter, prenait naissance. Sensation vague, mais réelle. Unie au sens croissant du retour du paddé, elle me donnait précisément conscience de ce je ne sais quoi que j'appelle "psychique".
Toutefois, rien de défini, de clairement délimité, ne se dégageait de ce sentiment vague et général d'une présence étrange, respirant à travers les ténèbres. Les heures glissaient l'un après l'autre, amenant, contrairement à mon attente, un refroidissement croissant. L'effet du jeûne de 3 jours, auquel je m'étais soumis pour intensifier ma sensibilité, se manifestait maintenant par des frissons de plus en plus marqués. Par des étroits conduits de ventilation, l'air froid, pénétrant dans la chambre du roi, s'insinuait sous la mince protection de mes vêtements légers. Je me mis à grelotter. Me levant; je passai ma jaquette, déposée peu d'heures auparavant dans l'attente d'une chaleur des plus fortes. Mais voilà ce que nous réserve l'Orient en certaines stations. Température torride pendant le jour, lourde chute du thermomètre pendant la nuit.
Jusqu'à ce jour, l'orifice des conduits d'aération n'a été découvert nulle part à la surface extérieure de la pyramide, bien qu'on en connaisse l'aire approximative. Certains égyptologues que la canalisation ait été poussée jusqu'au dehors. Mais le total refroidissement de l'air intérieur durant ma veille tranche cette question.
Je repris ma place sur mon siège de pierre et m'abandonnai derechef à l'accablant, au mortel silence, ainsi qu'à l'inexprimable obscurité. L'âme docile, je veillais. Sans aucun motif je vins à ma rappeler que là-bas, quelque part à l'est, le canal de Suez persistait à tracer sa ligne droite au milieu des sables et des marais, et puis je pensai au Nil, majestueuse épine dorsale du pays.
Le silence, sépulcral, le cercueil de pierre vide à mes côtés n'étaient pas faits pour tranquilliser mes nerfs, alors que l'interruption de ma veille semblait avoir rompu autre chose aussi; en effet, je m'aperçus très vite que le soupçon d'une vie invisible présente autour de moi passait à l'état de la pleine certitude. Oui, il y avait tout près de moi quelque chose de palpitant, de vivant, encore que je ne puisse voir quoi que ce soit. Je me sentis alors soudainement accablé en me représentant ma solitude et ses dangers. Ainsi je me trouvais là, assis tout seul dans une chambre indéfinissable mais perchée à plus de 200 pieds au-dessus du sol, considérablement plus haut que le million d'habitants du Caire, au milieu d'impénétrables ténèbres, sous clef, incarcéré en cet étrange monument, au seuil d'un désert qui s'en va couvrir des centaines de miles, ce pendant qu'auprès de ma prison - le plus vieil édifice du monde, probablement, s'étendaient, pêle-mêle, tant de tombes farouches, nécropole d'une ancienne capitale.
Sous mes yeux qui avaient scruté à fond le monde psychique, mystères occultes, sorcelleries et magies de l'Orient, la vaste chambre du roi se peupla d'êtres invisibles, d'esprits préposés à la garde du vénérable monument.
À chaque instant, il semblait qu'une voix spectrale allait s'élever du sein de l'immense silence. Maintenant je rendais grâce aux constructeurs des étroits conduits d'air, versant dans l'antique salle leur faible mais constante ventilation rafraichissante. Qu'importe que l'air ait à traverser près de trois cents pieds avant d'y parvenir, il était toujours le bienvenu. Je suis accoutumé à la solitude, elle me plaît, j'aime en jouir; mais celle de cette chambre avait quelque chose de périlleux, de terrifiant.
L'obscurité, où tout s'absorbait, commençait à peser sur ma tête comme une masse de fer. En moi tremblait l'ombre d'une crainte inutile. Je la balayais instantanément. Ce n'est pas le courage physique dont il est besoin pour séjourner au coeur de la déserte pyramide, c'est quelque fortitude morale. Selon toute vraisemblance, aucun serpent ne sortirait d'un trou ou d'une crevasse; nul trimardeur ne s'y réfugie à la tombée de la nuit. En fait, voici les seules manifestations de la vie animale qui s'offre à ma vue: une souris effarouchée, rencontrée au commencement de la soirée dans le passage horizontal, se précipita de tous les côtés entre les murs dépourvus de fente où disparaître; à toute force, il lui fallait échapper, hors de la portée de la terrible lueur de ma torche; ensuite, j'avais découvert deux lézards, dont la teinte jaunâtre trahissait leur âge incroyablement avancé; ils rampaient au plafond de l'étroite saillie qui sort de la niche dans la chambre de la reine;, en dernier lieu, ce furent les chauves-souris du caveau souterrain. Je dois ajouter, il est vrai, que quelques criquets avaient émis leur chant non sans force lorsque j'entrai dans la grande galerie, mais ceci s'arrêta promptement. Et maintenant, le silence inviolé tenait la pyramide entière comme captive? Rien de ce qui ressortit du monde physique ne pouvait me causer aucun mal. Mais malgré tout, un vague sentiment de malaise, comme si des yeux invisibles me guettaient là, quelque part, m'envahit pour la seconde fois. Quel mystère de rêve, quelle irréalité fantomatique possédait donc ce séjour!... Certaines vibrations de l'énergie, du son, de la lumière, échappent à l'ordre normal de nos capacités réceptives. Chansons amusantes et graves discours parviennent, à travers le monde, aux auditeurs de la T.S.F., mais ceux-ci n'en percevaient rien si leur appareil enregistreur n'était pas convenablement branché. De ma veille purement réceptive je m'étais libéré, pour y substituer toute la force d'une concentration d'esprit imposant à ma pleine attention un effort destiné à percer le noir silence qui m'entourait.
Si, de cette intense concentration intérieure, il résulta que ma faculté d'observation fut portée à une extension anormale, m'était-il dès lors impossible de surprendre la présence de forces invisibles? Qui le prétendrait?
Tout ce que je sais, c'est que lorsque je "me branchai", par une méthode d'attention intériorisée à laquelle je m'étais initié longtemps avant ce second voyage en Égypte, je me rendis compte que des forces hostiles avaient envahi la chambre. Il y avait, s'approchant, quelque chose que je ressentais comme néfaste, dangereux. Une peur sans nom s'agitait en mon cœur; chassée, elle revenait à de brefs intervalles. Je persistais à appliquer ma méthode de concentration intense, à direction unique et intérieure, la sensibilité suivant sa pente accoutumée et se transformant en vision. Des ombres se mirent à voltiger ça et là dans la salle où ne pouvait s'en tracer aucune. Peu à peu, elles prirent une forme plus définie; il apparut soudain des figures malveillantes, tout près de son propre visage. Devant les yeux de mon esprit s'élevaient directement des images sinistres. Puis ce fut une apparition noire qui s'avança, fixant sur moi un regard méchant et dressant les mains en geste de menace, comme pour m'inspirer un respect mêlé de terreur. Des esprits d'un âge incalculable semblaient s'être glissés jusque-là depuis la nécropole voisine, une nécropole si vieille que des momies y tombent en poussière dans leurs sarcophages de pierre; c'étaient les ombres accrochées à ces antiques défunts qui faisaient leur fâcheuse apparition sur le théâtre de ma veille. Toutes les légendes des spectres néfastes qui hantent les parages des pyramides me revenaient à la mémoire, avec les mêmes détails déplaisants qui les caractérisent quand elles vous sont racontées par les Arabes d'un village peu éloigné. Quand j'avais dit à un jeune ami arabe que j'avais l'intention de passer une nuit dans la pyramide, il s'était efforcé de m'en dissuader. "Chaque pouce est hanté, m'assura-t-il pour me mettre en garde. Ce territoire compte toute une armée de fantômes et de génies."
L'avertissement n'était pas superflu, je pouvais maintenant le constater. Des figures spectrales s'étaient mises à ramper dans mon noir séjour, elles y tournaient partout; l'indéfinissable sentiment de malaise qui m'avait précédemment saisi recevait pleine et entière justification. Sous une pareille tension, vers le milieu de cette chose inerte qu'était mon corps, je m'aperçus que mon cœur battait comme un marteau. La crainte surnaturelle, qui nous guette tous tant que nous sommes, mordait sur moi une fois encore. Crainte, peur, horreur me présentaient tour à tour leur méchante face. Involontairement, mes mains se serraient avec l'étreinte d'un étau. Mais j'étais décidé à passer outre; quoique ces formes fantomatiques aient d'abord ébranlé en moi une sensation de frayeur, elles finirent par m'amener à mobiliser toutes les réserves de courage et de combativité que je pusse réunir.
Mes yeux restaient clos, cependant que toutes ces formes grises, glissantes, vaporeuses s'imposaient à ma vision. Et toujours leur implacable hostilité, leur atroce acharnement à m'empêcher de suivre ma résolution. Un cercle entier d'adversaires m'entourait. Il eût été facile d'en venir à bout en allumant la lumière, ou en me dressant debout pour sortir en hâte de la chambre et courir durant quelques centaines de pieds jusqu'à la grille d'entrée, où le gardien armé m'eût assuré un vivant réconfort. L'épreuve subie m'imposait une forme subtile de torture, elle harcelait mon âme, tandis que mon corps restait intact. Mais également implacable était en moi je ne sais quel commandement, m'imposant de traverser cette étape jusqu'au bout. Le paroxysme arriva enfin. Des espèces monstrueuses, indéfinissables, de sinistres, d'infernales horreurs, des formes à l'aspect baroque, grotesque, fou, démoniaque fourmillaient autour de moi; la répulsion qu'elles m'inspiraient m'infligeait une inimaginable souffrance. En quelques minutes, j'ai vécu là des émotions dont le souvenir ne m'abandonnera en aucun temps. Cette scène incroyable demeure photographiée en haut-relief dans ma mémoire. Pour rien au monde je ne tenterais de renouveler pareille expérience; jamais plus je n'établirai ma demeure nocturne au sein de la grande pyramide.
La fin surgit avec une brusquerie saisissante. Les détestables envahisseurs fantomatiques disparurent dans l'obscurité d'où ils avaient émergé. Ils s'évanouirent dans le sombre royaume des trépassés, entraînant avec eux tout le cortège de leurs pernicieuses horreurs. Mes nerfs, à demi brisés, éprouvèrent un soulagement aussi immense que ceux d'un soldat quand s'arrête tout-à-coup un formidable bombardement. Je ne sais combien de temps s'écoula alors, jusqu'à ce que je prisse conscience d'une présence nouvelle dans ma chambre. C'était quelqu'un de bienveillant, une figure amicale, qui se tenait à l'entrée et posait sur moi des regards pleins de bonté. Son arrivée marqua un changement total de l'atmosphère. Changement en mieux. Avec lui arrivait quelque chose de net et de sain. Un nouvel élément commença à influencer mon être sensible, qui restait accablé. Ce fut l'apaisement, le retour au calme. L'apparition s'approcha de mon siège de pierre; je vis qu'une autre la suivait. Toutes deux se tinrent à mes côtés et me considérèrent avec gravité; leurs regards étaient lourds de signification prophétique; je sentis qu'une heure importante de ma vie approchait.
Ces deux êtres revêtaient dans ma vision un aspect inoubliable. Leurs robes blanches, leurs sandales, la sagesse emprunte sur leurs traits, leur haute stature, tout cela me revint instantanément à l'esprit. En outre, ils portaient les insignes indiscutables de leur charge; on reconnaissait donc en eux des grands prêtres de l'ancien culte égyptien. Une clarté légère qui les entourait se répandait fort étrangement sur une partie de la salle. En vérité, ils semblaient être plus que des hommes; ils avaient la splendeur des demi-dieux; leur face respirait un calme sans égal, le calme du cloître. Ils se tenaient immobiles comme des statues; ils me considéraient , les mains jointes sur la poitrine; ils gardaient un silence absolu. Étais-je en activité dans une quatrième dimension de l'espace, réveillé pour observer un passé immémorial? Mon sens du temps avait-il reculé jusqu'aux jours de la primitive Égypte? Non, impossible, car je percevais nettement que ces deux êtres pouvaient me voir; ils étaient même sur le point de m'adresser la parole. Leurs hautes figures se penchèrent en avant, les lèvres de l'un d'eux parurent bouger, son visage tout près du mien; ses yeux brillaient d'une flamme immatérielle. Sa voix résonna à mon oreille. "Pourquoi es-tu venu en ce lieu, cherchant à évoquer les puissances secrètes? Les voies des mortels ne te suffisent-elles pas?" me demanda-t-il. Ce n'est pas le sens physique de l'ouïe qui m'apporta ces paroles; il est certain qu'aucune vibration sonore n'avait troublé le silence ambiant. Mais il me semblait les entendre de la même manière qu'un sourd, muni d'un appareil électrique, peut percevoir les mots résonnant contre son tympan, toutefois avec cette différence qu'il les entend à l'intérieur de cet organe. La voix qui me parvenait, on pourrait vraiment l'appeler voix mentale, car, entendue évidemment dans mon oreille, elle n'était pas moins susceptible de produire l'impression d'une simple pensée. Or rien ne serait plus erroné. C'était une voix. Je répondis: "Non!" Il me dit: "Le mouvement de maintes multitudes rassure, dans les villes, le coeur de l'homme qui tremble. Pars, retourne te mêler à tes amis, et tu auras vite oublié l'insignifiant caprice qui t'amena ici." "Je ne le puis", répétai-je. Il fit un nouvel effort. "Le sentier du rêve te dérobera au bercail de la raison. Certains s'y sont aventurés, qui revinrent insensés. Retourne, pendant qu'il est encore temps, retourne suivre le chemin assigné aux pas des mortels." Mais je hochai la tête et murmurai:" Il me faut suivre ce chemin-ci; il n'en est pas d'autres pour moi." Le prêtre se rapprocha encore et pencha de nouveau sa face vers mon siège. Je vis son visage de vieillard se profilant sur l'entourage ténébreux. Il chuchota contre mon oreille: "Quiconque entre en contact avec nous perd toute parenté avec le monde. Es-tu capable de marcher seul ?" "Je ne sais", répondis-je. Il murmura de nouveau: "Viens avec moi; puis, quand tu auras vu, donne ta nouvelle réponse." Alors je vis, comme dans une vision lointaine, le dédale des rues d'une grande ville. Ce spectacle se rapprocha avec rapidité, jusqu'à ce que j'aie remarqué, au tout premier plan, une vieille maison, proche d'une place fermée avec une grille. J'y vis une obscure cage d'escalier, qui menait à un galetas sous le toit. Mon interlocuteur spectral m'apparut soudainement en cet endroit, assis au chevet d'un vieillard dont la chevelure en désordre et l'inculte barbe grise cadraient bien avec la rudesse de ses traits.
Il avait certainement
passé depuis longtemps le soir de sa vie, car sa peau toute cendrée pendait,
flasque, sur ses os. Son visage décharné, où se lisait l'épuisement, m'émut de
pitié, mais en le regardant je me mis à frissonner, car je voyais nettement
comment son esprit luttait pour quitter son corps, combat sinistre dont l'issue
m'était aucunement douteuse.
Mon guide considérait d'un regard compatissant le moribond couché. Il leva la main et dit: "Encore quelques minutes, mon frère, et tu auras la paix. Vois, je t'ai amené quelqu'un qui cherche les puissances secrètes Pour legs suprême, adresse-lui quelques mots." Je devenais soudain non plus seulement témoin mais acteur de cette étrange scène.
Avec un bruit haletant, terrible à entendre, le mourant tourna la tête et me regarda en face. Irais-je jusqu'aux extrémités du monde, jamais je n'oublierai la terreur couvant dans ses yeux. "Vous êtes plus jeune que moi, murmura-t-il. Mais j'ai parcouru l'univers une fois, deux fois, trois fois. Moi aussi je cherchais ce que vous cherchez. Oh! combien j'ai cherché!" Il s'arrêta une minute, sa tête retombant sur l'oreiller; il s'efforçait de feuilleter ses souvenirs. Puis il se redressa sur ses coudes et tendit un bras long et maigre. Sa main, aux doigts osseux et à l'étreinte toute raide, semblait celle d'un squelette. Il saisit la mienne et serra mon poing, et comme dans un étau. Je sentis que son regard perçant fixé sur mes propres yeux cherchait mon âme. "Insensé, insensé! grogna-t-il; les seules puissances que j'ai trouvées sont celles de la chair et du diable. il n'y en a pas d'autres. Elles demeurent. M'entendez-vous? (Il hurlait presque.) Elles demeurent!" L'effort était au-dessus de ses forces. Il retomba sur l'oreiller. Il était mort. Mon guide n'ajouta pas un mot. Il demeura une minute entière, pensif, auprès du lit. Alors la vision s'effaça. Je me retrouvai, une fois encore, dans la pyramide. il me regardait en silence, et je lui rendais son muet regard. Il lut ma pensée. De l'obscurité me parvinrent ses dernières paroles: " Soit. Tu as choisi. Ton choix est désormais sans appel. Adieu." Il avait disparu.
Je demeurais seul avec l'autre esprit, qui jusqu'alors, n'avait joué d'autres rôles que celui d'un témoin silencieux.
Il se déplaça et vint en face du coffre de marbre. Son visage était celui d'un homme extrêmement âgé. Je n'osai me risquer à conjecturer le nombre de ses années.
"Mon fils, déclara-t-il avec calme, les puissants seigneurs des pouvoirs secrets t'ont pris entre leurs mains. Tu dois être conduit cette nuit dans la salle d'instruction. Étends-toi sur cette pierre. Aux temps anciens, c'eût été dans cette autre, sur un lit de roseaux de papyrus." Il désignait le sarcophage.
Je n'avais d'autre chose à faire qu'obéir à mon mystérieux visiteur. Je me couchai, allongé sur mon dos.
Ce qui arriva immédiatement après n'est pas encore très clair pour moi. Ce fut comme s'il m'avait inopinément donné une dose de quelque anesthésique spécial, lent à produire son effet. Car tous mes muscles se raidirent, après quoi une léthargie paralysante commença à envahir mes membres. Mon corps entier s'alourdit et s'engourdit. En premier lieu, mes pieds subirent un refroidissement progressif. Par degrés imperceptibles, je sentis mes jambes se glacer, et cette impression gagnait toujours du terrain, de bas en haut. C'était comme si je fusse tombé, enseveli jusqu'à la ceinture, dans une masse de neige sur la pente d'une montagne. Mes membres inférieurs s'étaient maintenant entièrement insensibilisés. Il m'apparaissait que j'allais subir un état de demi-somnolence; en moi se faisait jour un mystérieux pressentiment de l'approche de la mort. Toutefois, cela ne me troublait pas, car depuis longtemps je m'étais affranchi de l'antique peur de mourir et j'acceptais philosophiquement l'inévitable. Comme l'étrange sensation continuait à m'étreindre, à gravir mon épine dorsale, à subjuguer mon corps entier, je me sentis enfonçant consciemment vers je ne sais quel point central de mon cerveau, tandis que ma respiration ne cessait de s'affaiblir.
Lorsque le froid atteignit ma poitrine, le reste de mon corps était entièrement paralysé. Alors survint quelque chose comme une attaque au cœur, mais cela passa aussitôt et je compris que la crise suprême n'était pas très éloignée.
Eussé-je été capable de desserrer mes mâchoires raidies, j'aurais pu rire de la première pensée qui me vint alors. La voici: "Demain, on trouvera mon cadavre dans la grande pyramide, et tout sera fini pour moi." J'étais assuré que toutes mes sensations avaient pour cause le passage qu'effectuait mon esprit entre la vie physique et les régions d'outre-tombe.
Quoique sachant parfaitement que je traversais toutes les impressions d'un mourant, aucune trace d'opposition ne subsistait en moi. À la fin, toute conscience de moi-même se trouva concentrée en ma tête; un dernier tourbillon insensé se déchaîna à l'intérieur de mon cerveau. Il me semblait être emporté dans un cyclone des tropiques, et que je passais à travers un trou étroit. Puis, un instant, étreignit la peur d'être lancé dans l'espace infini; je sautais dans l'inconnu...et j'étais libre ! Aucune parole ne saurait rendre les délices de cette libération qui fut alors mon sort. J'étais transformé en un être spirituel, créature de pensée et de sentiment, débarrassée de toutes les entraves du lourd corps de chair qui jadis m'emprisonnait. Nettoyé de ce fardeau terrestre, j'étais devenu semblable à un esprit, tel u mort qui sortirait de sa tombe, mais certainement sans avoir perdu toute espèce de conscience. En fait, mon sentiment de l'existence était autrement plus intense qu'auparavant. Par-dessus tout, cette sortie vers une sphère plus haute e procurait le sentiment d'être libre; bienheureuse, exquise liberté, dans la quatrième dimension qui me recevait. D'abord je me trouvai couché sur le dos, horizontal, à l'image du corps que je venais de quitter, flottant au-dessus du sol de pierre. Puis j'éprouvai comme le contact d'une main qui me dressait debout sur mes talons après m'avoir poussé un peu an avant. En dernier lieu, il me sembla curieusement être à la fois debout et flottant.
Je considérai, le corps de chair et d'os abandonné, gisant, immobile sur le bloc pierreux. La face, sans expression, était tournée vers le plafond; les yeux, à peine ouverts; pourtant, les pupilles brillaient assez pour indiquer que les paupières n'étaient pas vraiment closes. Les bras se croisaient sur la poitrine, attitude que je ne pouvais me rappeler avoir prise. Quelqu'un me les aurait-il ainsi croisés sans que je m'en fusse aperçu? Les jambes et les pieds, étendus, se touchaient tout du long. Ainsi s'étalait ma propre forme, apparemment morte, celle dont je m'étais retiré. Je remarquais qu'un faible trait de lumière argentée se projetait de moi, mon nouveau moi, vers la créature en sommeil cataleptique couchée sur le bloc. Il y a là de quoi s'étonner, mais, découverte plus étonnante encore, je constatai que ce mystérieux cordon ombilical psychique participait à éclairer l'angle de la chambre du roi où je voltigeais; cela faisait revêtir aux pierres des murs l'aspect que produit un suave clair de lune.
Je n'étais plus qu'un fantôme, créature sans corps séjournant dans l'espace. Je compris enfin, pourquoi les sages Égyptiens d'autrefois avaient choisi l'oiseau comme symbole hiéroglyphique de l'âme humaine. Le sentiment que j'éprouvais d'un accroissement en hauteur et en largeur, d'une étendue aérienne, était le même que si j'avais possédé deux ailes. Ne m'étais-je pas élevé dans l'air, n'étais-je pas resté flottant au-dessus de mon corps congédié?
Tel un oiseau s'envole dans le ciel et plane en tournant autour d'un certain point. N'avais-je pas la sensation d'être entouré d'un grand vide? Oui, décidément, le symbole ailé avait été bien choisi. J'étais donc dans l'espace, j'avais dégagé mon âme de son écheveau mortel, je m'étais divisé en deux parties jumelles, j'avais quitté le monde si longtemps connu; j'avais le sentiment d'être devenu un être éthérisé, d'une légèreté extrême, dans le corps nouveau, le double, que j'occupais désormais. En regardant vers le bloc de pierre froide où gisait mon corps primitif, une simple idée s'empara de mon esprit. Elle s'exprimait, tout bas, en ces mots concis: "C'est l'état de la mort. Je sais maintenant que je suis une âme, que je puis vivre séparé du corps. Je le croirai toujours, puisque j'en ai fait l'expérience." Cette pensée m'étreignit, impérieuse, comme avec un crampon de fer, tandis que j'étais légèrement balancé au-dessus de mon habitacle charnel resté vide. De la survivance j'avais fait l'expérience par la méthode à mon avis la plus satisfaisante: en mourant réellement, puis en revivant! Je continuais à regarder mes restes abandonnés. Ils me fascinaient en quelque sorte .Etait-ce là ce que, durant tant d'années, j'avais appelé mon moi? Un amas de matière charnelle, inconsciente, sans intelligence; rien de plus, voilà ce que j'y découvrais maintenant, de toute évidence. À considérer ces yeux aveugles, incapables de répondre, l'ironie de toute la situation me frappa irrésistiblement. Mon corps terrestre m'avait réellement tenu en prison, moi, mon "moi" réel, mais maintenant j'avais acquis la liberté. Auparavant, j'étais porté çà et là sur cette planète, par un organisme que j'avais longtemps confondu avec mon être réel, central. Il semblait que le sens de gravitation eût disparu; littéralement, je flottais dans l'air, me sentant étrangement demi-suspendu, demi-droit. Soudain parut à côté de moi le vieux prêtre, grave, imperturbable. Les yeux levés, le visage encore anoblit, l'air recueilli, i priait: "O amen, ô amen, qui es aux cieux, tourne ta face vers le cadavre de ton fils, et fais-lui du bien dans le monde de l'esprit. C'est fini." Puis il s'adressa à moi: "Tu as maintenant appris la grande leçon. L'homme, dont l'âme naquit de l'Immortel, ne peut jamais réellement mourir. Note cette vérité en paroles connues des hommes. Voilà!" Là-dessus, apparurent successivement: le visage, que je ne me rappelais qu'à demi, d'une femme aux obsèques de qui j'avais assisté plus de vingt auparavant, puis les traits familiers d'un homme qui fut pour moi plus qu'un ami et que j'avais vu reposer dans son cercueil il y avait de cela douze années, enfin le doux sourire d'un enfant que je savais être mort d'une chute accidentelle. Tous trois me regardaient, l'air paisible; leurs voix amicales se remettaient à se faire entendre autour de moi. J'eux l'entretien le plus bref possible avec ces êtres réputés morts; rapidement ils s'effacèrent et disparurent.
" Ils vivent, eux aussi, dit le grand prêtre, comme toi, comme cette pyramide elle-même, qui vit mourir la moitié d'un monde et qui survit. Sache-le, mon fils, dans cet antique sanctuaire repose le témoignage perdu des premières races humaines et de l'alliance qu'elles conclurent avec leur créateur, par l'entremise du premier de ses grands prophètes. " Sache aussi que des hommes choisis furent anciennement amenés ici, pour que cette alliance leur fût présentée et qu'ils pussent retourner auprès des leurs et maintenir vivant le grand secret. Emporte avec toi cet avertissement: lorsque les hommes abandonnent leur créateur et regardent leurs semblables avec de la haine, il en est d'eux comme des princes de l'Atlantide au temps desquels fut bâtie cette pyramide; ils sont détruits, écrasés par leur propre iniquité, comme fut détruit le peuple de l'Atlantide. " Ce n'est pas le créateur qui engloutit l'Atlantide; c'est l'égoïsme, la cruauté, l'aveuglement spirituel du peuple qui habitait ces îles condamnées. Le créateur aime tous les hommes, mais leur existence est soumise aux lois qu'il leur assigna. Emporte donc cet avertissement. " Alors m'envahit un ardent désir de connaître la mystérieuse alliance. Il faut que l'esprit ait lu dans ma pensée, car il dit vivement: " A chaque chose est réservée son heure. Pas encore, mon fils, pas encore. " J'éprouvai une vive déception. Il me regarda durant quelques secondes. " Il n'a pas encore été permis à un seul homme de ton peuple d'apercevoir pareille chose. Mais, puisque tu es versé en ces matières, puisque tu es venu parmi nous ayant au cœur bonne volonté et compréhension, tu peux obtenir quelque contentement. Viens avec moi. " Alors se produisit une chose étrange. Il me sembla choir dans une sorte de coma partiel; je perdis momentanément conscience, puis ce que je compris en premier lieu c'est que j'avais été transporté ailleurs. Je me trouvai dans un long corridor où régnait une douce lumière, encore qu'on n'y vit ni lampe ni fenêtre.
Je m'imaginai que la source lumineuse n'était autre que l'émanation, semblable à un halo, qui se répandait autour de mon compagnon, combinée au rayonnement d'une corde vibrante brillant dans l'éther derrière moi. Mais je dus reconnaître que l'explication était insuffisante. Les murs étaient de pierre colorée en chaudes teintes de terre cuite, et entre les dalles régnaient des joints d'une extrême finesse. Le son s'inclinait, descendant, suivant un angle tout juste égal à celui de l'entrée même de la pyramide. La maçonnerie était parfaitement achevée.
Mon guide considérait d'un regard compatissant le moribond couché. Il leva la main et dit: "Encore quelques minutes, mon frère, et tu auras la paix. Vois, je t'ai amené quelqu'un qui cherche les puissances secrètes Pour legs suprême, adresse-lui quelques mots." Je devenais soudain non plus seulement témoin mais acteur de cette étrange scène.
Avec un bruit haletant, terrible à entendre, le mourant tourna la tête et me regarda en face. Irais-je jusqu'aux extrémités du monde, jamais je n'oublierai la terreur couvant dans ses yeux. "Vous êtes plus jeune que moi, murmura-t-il. Mais j'ai parcouru l'univers une fois, deux fois, trois fois. Moi aussi je cherchais ce que vous cherchez. Oh! combien j'ai cherché!" Il s'arrêta une minute, sa tête retombant sur l'oreiller; il s'efforçait de feuilleter ses souvenirs. Puis il se redressa sur ses coudes et tendit un bras long et maigre. Sa main, aux doigts osseux et à l'étreinte toute raide, semblait celle d'un squelette. Il saisit la mienne et serra mon poing, et comme dans un étau. Je sentis que son regard perçant fixé sur mes propres yeux cherchait mon âme. "Insensé, insensé! grogna-t-il; les seules puissances que j'ai trouvées sont celles de la chair et du diable. il n'y en a pas d'autres. Elles demeurent. M'entendez-vous? (Il hurlait presque.) Elles demeurent!" L'effort était au-dessus de ses forces. Il retomba sur l'oreiller. Il était mort. Mon guide n'ajouta pas un mot. Il demeura une minute entière, pensif, auprès du lit. Alors la vision s'effaça. Je me retrouvai, une fois encore, dans la pyramide. il me regardait en silence, et je lui rendais son muet regard. Il lut ma pensée. De l'obscurité me parvinrent ses dernières paroles: " Soit. Tu as choisi. Ton choix est désormais sans appel. Adieu." Il avait disparu.
Je demeurais seul avec l'autre esprit, qui jusqu'alors, n'avait joué d'autres rôles que celui d'un témoin silencieux.
Il se déplaça et vint en face du coffre de marbre. Son visage était celui d'un homme extrêmement âgé. Je n'osai me risquer à conjecturer le nombre de ses années.
"Mon fils, déclara-t-il avec calme, les puissants seigneurs des pouvoirs secrets t'ont pris entre leurs mains. Tu dois être conduit cette nuit dans la salle d'instruction. Étends-toi sur cette pierre. Aux temps anciens, c'eût été dans cette autre, sur un lit de roseaux de papyrus." Il désignait le sarcophage.
Je n'avais d'autre chose à faire qu'obéir à mon mystérieux visiteur. Je me couchai, allongé sur mon dos.
Ce qui arriva immédiatement après n'est pas encore très clair pour moi. Ce fut comme s'il m'avait inopinément donné une dose de quelque anesthésique spécial, lent à produire son effet. Car tous mes muscles se raidirent, après quoi une léthargie paralysante commença à envahir mes membres. Mon corps entier s'alourdit et s'engourdit. En premier lieu, mes pieds subirent un refroidissement progressif. Par degrés imperceptibles, je sentis mes jambes se glacer, et cette impression gagnait toujours du terrain, de bas en haut. C'était comme si je fusse tombé, enseveli jusqu'à la ceinture, dans une masse de neige sur la pente d'une montagne. Mes membres inférieurs s'étaient maintenant entièrement insensibilisés. Il m'apparaissait que j'allais subir un état de demi-somnolence; en moi se faisait jour un mystérieux pressentiment de l'approche de la mort. Toutefois, cela ne me troublait pas, car depuis longtemps je m'étais affranchi de l'antique peur de mourir et j'acceptais philosophiquement l'inévitable. Comme l'étrange sensation continuait à m'étreindre, à gravir mon épine dorsale, à subjuguer mon corps entier, je me sentis enfonçant consciemment vers je ne sais quel point central de mon cerveau, tandis que ma respiration ne cessait de s'affaiblir.
Lorsque le froid atteignit ma poitrine, le reste de mon corps était entièrement paralysé. Alors survint quelque chose comme une attaque au cœur, mais cela passa aussitôt et je compris que la crise suprême n'était pas très éloignée.
Eussé-je été capable de desserrer mes mâchoires raidies, j'aurais pu rire de la première pensée qui me vint alors. La voici: "Demain, on trouvera mon cadavre dans la grande pyramide, et tout sera fini pour moi." J'étais assuré que toutes mes sensations avaient pour cause le passage qu'effectuait mon esprit entre la vie physique et les régions d'outre-tombe.
Quoique sachant parfaitement que je traversais toutes les impressions d'un mourant, aucune trace d'opposition ne subsistait en moi. À la fin, toute conscience de moi-même se trouva concentrée en ma tête; un dernier tourbillon insensé se déchaîna à l'intérieur de mon cerveau. Il me semblait être emporté dans un cyclone des tropiques, et que je passais à travers un trou étroit. Puis, un instant, étreignit la peur d'être lancé dans l'espace infini; je sautais dans l'inconnu...et j'étais libre ! Aucune parole ne saurait rendre les délices de cette libération qui fut alors mon sort. J'étais transformé en un être spirituel, créature de pensée et de sentiment, débarrassée de toutes les entraves du lourd corps de chair qui jadis m'emprisonnait. Nettoyé de ce fardeau terrestre, j'étais devenu semblable à un esprit, tel u mort qui sortirait de sa tombe, mais certainement sans avoir perdu toute espèce de conscience. En fait, mon sentiment de l'existence était autrement plus intense qu'auparavant. Par-dessus tout, cette sortie vers une sphère plus haute e procurait le sentiment d'être libre; bienheureuse, exquise liberté, dans la quatrième dimension qui me recevait. D'abord je me trouvai couché sur le dos, horizontal, à l'image du corps que je venais de quitter, flottant au-dessus du sol de pierre. Puis j'éprouvai comme le contact d'une main qui me dressait debout sur mes talons après m'avoir poussé un peu an avant. En dernier lieu, il me sembla curieusement être à la fois debout et flottant.
Je considérai, le corps de chair et d'os abandonné, gisant, immobile sur le bloc pierreux. La face, sans expression, était tournée vers le plafond; les yeux, à peine ouverts; pourtant, les pupilles brillaient assez pour indiquer que les paupières n'étaient pas vraiment closes. Les bras se croisaient sur la poitrine, attitude que je ne pouvais me rappeler avoir prise. Quelqu'un me les aurait-il ainsi croisés sans que je m'en fusse aperçu? Les jambes et les pieds, étendus, se touchaient tout du long. Ainsi s'étalait ma propre forme, apparemment morte, celle dont je m'étais retiré. Je remarquais qu'un faible trait de lumière argentée se projetait de moi, mon nouveau moi, vers la créature en sommeil cataleptique couchée sur le bloc. Il y a là de quoi s'étonner, mais, découverte plus étonnante encore, je constatai que ce mystérieux cordon ombilical psychique participait à éclairer l'angle de la chambre du roi où je voltigeais; cela faisait revêtir aux pierres des murs l'aspect que produit un suave clair de lune.
Je n'étais plus qu'un fantôme, créature sans corps séjournant dans l'espace. Je compris enfin, pourquoi les sages Égyptiens d'autrefois avaient choisi l'oiseau comme symbole hiéroglyphique de l'âme humaine. Le sentiment que j'éprouvais d'un accroissement en hauteur et en largeur, d'une étendue aérienne, était le même que si j'avais possédé deux ailes. Ne m'étais-je pas élevé dans l'air, n'étais-je pas resté flottant au-dessus de mon corps congédié?
Tel un oiseau s'envole dans le ciel et plane en tournant autour d'un certain point. N'avais-je pas la sensation d'être entouré d'un grand vide? Oui, décidément, le symbole ailé avait été bien choisi. J'étais donc dans l'espace, j'avais dégagé mon âme de son écheveau mortel, je m'étais divisé en deux parties jumelles, j'avais quitté le monde si longtemps connu; j'avais le sentiment d'être devenu un être éthérisé, d'une légèreté extrême, dans le corps nouveau, le double, que j'occupais désormais. En regardant vers le bloc de pierre froide où gisait mon corps primitif, une simple idée s'empara de mon esprit. Elle s'exprimait, tout bas, en ces mots concis: "C'est l'état de la mort. Je sais maintenant que je suis une âme, que je puis vivre séparé du corps. Je le croirai toujours, puisque j'en ai fait l'expérience." Cette pensée m'étreignit, impérieuse, comme avec un crampon de fer, tandis que j'étais légèrement balancé au-dessus de mon habitacle charnel resté vide. De la survivance j'avais fait l'expérience par la méthode à mon avis la plus satisfaisante: en mourant réellement, puis en revivant! Je continuais à regarder mes restes abandonnés. Ils me fascinaient en quelque sorte .Etait-ce là ce que, durant tant d'années, j'avais appelé mon moi? Un amas de matière charnelle, inconsciente, sans intelligence; rien de plus, voilà ce que j'y découvrais maintenant, de toute évidence. À considérer ces yeux aveugles, incapables de répondre, l'ironie de toute la situation me frappa irrésistiblement. Mon corps terrestre m'avait réellement tenu en prison, moi, mon "moi" réel, mais maintenant j'avais acquis la liberté. Auparavant, j'étais porté çà et là sur cette planète, par un organisme que j'avais longtemps confondu avec mon être réel, central. Il semblait que le sens de gravitation eût disparu; littéralement, je flottais dans l'air, me sentant étrangement demi-suspendu, demi-droit. Soudain parut à côté de moi le vieux prêtre, grave, imperturbable. Les yeux levés, le visage encore anoblit, l'air recueilli, i priait: "O amen, ô amen, qui es aux cieux, tourne ta face vers le cadavre de ton fils, et fais-lui du bien dans le monde de l'esprit. C'est fini." Puis il s'adressa à moi: "Tu as maintenant appris la grande leçon. L'homme, dont l'âme naquit de l'Immortel, ne peut jamais réellement mourir. Note cette vérité en paroles connues des hommes. Voilà!" Là-dessus, apparurent successivement: le visage, que je ne me rappelais qu'à demi, d'une femme aux obsèques de qui j'avais assisté plus de vingt auparavant, puis les traits familiers d'un homme qui fut pour moi plus qu'un ami et que j'avais vu reposer dans son cercueil il y avait de cela douze années, enfin le doux sourire d'un enfant que je savais être mort d'une chute accidentelle. Tous trois me regardaient, l'air paisible; leurs voix amicales se remettaient à se faire entendre autour de moi. J'eux l'entretien le plus bref possible avec ces êtres réputés morts; rapidement ils s'effacèrent et disparurent.
" Ils vivent, eux aussi, dit le grand prêtre, comme toi, comme cette pyramide elle-même, qui vit mourir la moitié d'un monde et qui survit. Sache-le, mon fils, dans cet antique sanctuaire repose le témoignage perdu des premières races humaines et de l'alliance qu'elles conclurent avec leur créateur, par l'entremise du premier de ses grands prophètes. " Sache aussi que des hommes choisis furent anciennement amenés ici, pour que cette alliance leur fût présentée et qu'ils pussent retourner auprès des leurs et maintenir vivant le grand secret. Emporte avec toi cet avertissement: lorsque les hommes abandonnent leur créateur et regardent leurs semblables avec de la haine, il en est d'eux comme des princes de l'Atlantide au temps desquels fut bâtie cette pyramide; ils sont détruits, écrasés par leur propre iniquité, comme fut détruit le peuple de l'Atlantide. " Ce n'est pas le créateur qui engloutit l'Atlantide; c'est l'égoïsme, la cruauté, l'aveuglement spirituel du peuple qui habitait ces îles condamnées. Le créateur aime tous les hommes, mais leur existence est soumise aux lois qu'il leur assigna. Emporte donc cet avertissement. " Alors m'envahit un ardent désir de connaître la mystérieuse alliance. Il faut que l'esprit ait lu dans ma pensée, car il dit vivement: " A chaque chose est réservée son heure. Pas encore, mon fils, pas encore. " J'éprouvai une vive déception. Il me regarda durant quelques secondes. " Il n'a pas encore été permis à un seul homme de ton peuple d'apercevoir pareille chose. Mais, puisque tu es versé en ces matières, puisque tu es venu parmi nous ayant au cœur bonne volonté et compréhension, tu peux obtenir quelque contentement. Viens avec moi. " Alors se produisit une chose étrange. Il me sembla choir dans une sorte de coma partiel; je perdis momentanément conscience, puis ce que je compris en premier lieu c'est que j'avais été transporté ailleurs. Je me trouvai dans un long corridor où régnait une douce lumière, encore qu'on n'y vit ni lampe ni fenêtre.
Je m'imaginai que la source lumineuse n'était autre que l'émanation, semblable à un halo, qui se répandait autour de mon compagnon, combinée au rayonnement d'une corde vibrante brillant dans l'éther derrière moi. Mais je dus reconnaître que l'explication était insuffisante. Les murs étaient de pierre colorée en chaudes teintes de terre cuite, et entre les dalles régnaient des joints d'une extrême finesse. Le son s'inclinait, descendant, suivant un angle tout juste égal à celui de l'entrée même de la pyramide. La maçonnerie était parfaitement achevée.
L'emplacement était
carré et franchement bas, mais sans que cela me gênât. Je restai impuissant à
découvrir d'où provenait le mystérieux éclairage: l'intérieur ne brillait pas
moins, comme si une lampe y déversait sa pleine clarté.
Le grand prêtre m'invita à le suivre un peu en descendant le passage. " Ne regarde pas en arrière, ne détourne pas la tête, " me prescrivit-il. Nous parcourûmes ainsi une certaine distance toujours en pente, puis je vis une grande chambre, semblable à un temple, ouverte à l'extrémité du passage. Je savais parfaitement que j'étais dans ou sous la pyramide, mais jamais auparavant je n'avais vu ce passage ni cette chambre. Évidemment, ils étaient secrets et avaient jusqu'à ce jour défié toute découverte. Je ne pus me soustraire à un sentiment de terreur, excité par cette soudaine révélation, tandis qu'une curiosité également violente me portait à me demander où donc était l'entrée et en quoi elle consistait. À la fin il me FALLUT tourner la tête et jeter un rapide coup d'œil en arrière, où j'espérais découvrir la porte secrète. J'étais entré sans que rien laissât voir un accès quelconque, mais à l'extrémité, j'aperçus que ce qui aurait été une ouverture était fermé par des blocs carrés et apparemment cimenté. Je me pris à considérer un mur blanc, puis je fus comme précipité vertigineusement par quelque irrésistible force, jusqu'à ce que toute la scène s'évanouît, et que je me fusse remis à flotter dans l'espace. " J'entendis les mots: " pas encore, pas encore " répétés comme un écho, et quelques instants après je revis mon corps inerte et sans vie qui gisait sur la pierre.
Un murmure m'arriva du grand prêtre: " Mon fils, il n'importe que tu découvris ou non l'ouverture. Trouve seulement dans ton esprit le passage secret qui t'amènera à la chambre cachée au sein de ton âme, et tu auras trouvé chose précieuse. Le mystère de la grande pyramide, c'est le mystère de ton être même. Les chambres secrètes, les anciens témoignages, c'est en toi qu'ils se trouvent tous contenus. L'enseignement de la pyramide, le voici: l'homme doit se tourner vers l'intérieur, se risquer vers le centre inconnu de son être, pour y trouver son âme, tout comme il faut s'aventurer jusqu'aux profondeurs inconnues de ce temple pour découvrir son suprême secret. Adieu! "
Mon esprit tournoya dans je ne sais quel tourbillon qui m'emportait; je glissais plus bas, toujours plus bas; une lourde torpeur m'envahit; il me semblait que j'allais retourner me dissoudre dans mon corps physique. Je tendais mon énergie, essayant d'en mouvoir les muscles raides, mais ce fut en vain; finalement, je m'évanouis...
J'ouvris les yeux en sursaut, dans d'épaisses ténèbres. Quand mon engourdissement se fut dissipé, je cherchais à tâtons ma torche et je l'allumai. Je me retrouvais dans la chambre du roi, encore en proie à une violente excitation, au point de sauter et de crier; l'écho de ma voix me revenait assourdi.
Le grand prêtre m'invita à le suivre un peu en descendant le passage. " Ne regarde pas en arrière, ne détourne pas la tête, " me prescrivit-il. Nous parcourûmes ainsi une certaine distance toujours en pente, puis je vis une grande chambre, semblable à un temple, ouverte à l'extrémité du passage. Je savais parfaitement que j'étais dans ou sous la pyramide, mais jamais auparavant je n'avais vu ce passage ni cette chambre. Évidemment, ils étaient secrets et avaient jusqu'à ce jour défié toute découverte. Je ne pus me soustraire à un sentiment de terreur, excité par cette soudaine révélation, tandis qu'une curiosité également violente me portait à me demander où donc était l'entrée et en quoi elle consistait. À la fin il me FALLUT tourner la tête et jeter un rapide coup d'œil en arrière, où j'espérais découvrir la porte secrète. J'étais entré sans que rien laissât voir un accès quelconque, mais à l'extrémité, j'aperçus que ce qui aurait été une ouverture était fermé par des blocs carrés et apparemment cimenté. Je me pris à considérer un mur blanc, puis je fus comme précipité vertigineusement par quelque irrésistible force, jusqu'à ce que toute la scène s'évanouît, et que je me fusse remis à flotter dans l'espace. " J'entendis les mots: " pas encore, pas encore " répétés comme un écho, et quelques instants après je revis mon corps inerte et sans vie qui gisait sur la pierre.
Un murmure m'arriva du grand prêtre: " Mon fils, il n'importe que tu découvris ou non l'ouverture. Trouve seulement dans ton esprit le passage secret qui t'amènera à la chambre cachée au sein de ton âme, et tu auras trouvé chose précieuse. Le mystère de la grande pyramide, c'est le mystère de ton être même. Les chambres secrètes, les anciens témoignages, c'est en toi qu'ils se trouvent tous contenus. L'enseignement de la pyramide, le voici: l'homme doit se tourner vers l'intérieur, se risquer vers le centre inconnu de son être, pour y trouver son âme, tout comme il faut s'aventurer jusqu'aux profondeurs inconnues de ce temple pour découvrir son suprême secret. Adieu! "
Mon esprit tournoya dans je ne sais quel tourbillon qui m'emportait; je glissais plus bas, toujours plus bas; une lourde torpeur m'envahit; il me semblait que j'allais retourner me dissoudre dans mon corps physique. Je tendais mon énergie, essayant d'en mouvoir les muscles raides, mais ce fut en vain; finalement, je m'évanouis...
J'ouvris les yeux en sursaut, dans d'épaisses ténèbres. Quand mon engourdissement se fut dissipé, je cherchais à tâtons ma torche et je l'allumai. Je me retrouvais dans la chambre du roi, encore en proie à une violente excitation, au point de sauter et de crier; l'écho de ma voix me revenait assourdi.
Mais au lieu de sentir
le sol sous mes pieds, je crus que je tombais dans le vide. Ce ne fut qu'en
lançant mes mains sur le bord du bloc de pierre et en m'accrochant aux côtés,
que j'évitai cette chute. Je compris alors ce qui s'était passé. En me levant,
je m'étais à mon insu déplacé jusqu'à l'extrémité du bloc et mes pieds se
trouvaient suspendus au-dessus du trou creusé à l'angle nord-ouest du sol de la
chambre.
Je me ressaisis et me tirai d'affaire, sain et sauf. Je mis la lampe à l'abri; j'en fis porter la lumière sur ma montre-bracelet. Le verre de celle-ci s'était cassé en deux endroits, résultat de mon saut, quand ma main et mon poignet avaient heurté le mur. Mais le tic-tac des aiguilles persistait allègrement. Quand je regardai l'heure, je me mis presque à éclater de rire, quelle que fût la solennité du lieu.
Car il était exactement minuit, l'heure classique des mélodrames. Les deux aiguilles superposées marquaient le chiffre douze, pas une minute de plus ou de moins!
Lorsque le policier de service ouvrit la grille de fer, peu après le lever du soleil, un individu poussiéreux, visiblement fatigué, aux yeux tirés, franchit en trébuchant la sombre issue de la grande pyramide. Il s'achemina, descendant à travers les grands cubes de pierre, aux premières clartés du matin. Tout clignotants, ses regards se portaient sur le paysage familier, sur la plaine. Avant tout, il aspira profondément, à plusieurs reprises, le grand air libre. Puis, instinctivement, il se tourna vers Ra, l'astre du jour; en silence, il lui rendait grâces d'avoir accordé au genre humain, bénédiction inestimable, la lumière!
Je me ressaisis et me tirai d'affaire, sain et sauf. Je mis la lampe à l'abri; j'en fis porter la lumière sur ma montre-bracelet. Le verre de celle-ci s'était cassé en deux endroits, résultat de mon saut, quand ma main et mon poignet avaient heurté le mur. Mais le tic-tac des aiguilles persistait allègrement. Quand je regardai l'heure, je me mis presque à éclater de rire, quelle que fût la solennité du lieu.
Car il était exactement minuit, l'heure classique des mélodrames. Les deux aiguilles superposées marquaient le chiffre douze, pas une minute de plus ou de moins!
Lorsque le policier de service ouvrit la grille de fer, peu après le lever du soleil, un individu poussiéreux, visiblement fatigué, aux yeux tirés, franchit en trébuchant la sombre issue de la grande pyramide. Il s'achemina, descendant à travers les grands cubes de pierre, aux premières clartés du matin. Tout clignotants, ses regards se portaient sur le paysage familier, sur la plaine. Avant tout, il aspira profondément, à plusieurs reprises, le grand air libre. Puis, instinctivement, il se tourna vers Ra, l'astre du jour; en silence, il lui rendait grâces d'avoir accordé au genre humain, bénédiction inestimable, la lumière!
Paul Brunton, "L’Égypte
secrète", 1939
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