Pour aider à la compréhension du corpus alchimique, nous pouvons nous référer à l'étude de René Alleau dans son petit fascicule "Alchimie". Les extraits ci-dessous apportent un éclairage sur les problématiques soulevées plus haut quant à la problématique rencontrée par le chercheur face au langage alchimique et aux différents types d'ouvrages existant sur l'alchimie, pour décrypter le langage alchimique du véritable génie cryptographique employé par les alchimistes dans leurs ouvrages, pour comprendre la fonction principale de ces structures cryptographiques, ainsi que pour aiguiller le chercheur sur comment aborder la lecture de ses ouvrages.
1. Les œuvres
attribuées à des adeptes, c'est-à-dire à des maîtres auxquels la tradition
reconnaît l'autorité d'un enseignement théorique fondé sur l'élaboration
expérimentale du Grand Œuvre et sur la possession réelle de la pierre
philosophale. L'ensemble de ces traités constitue ce que nous nommons le corpus
alchimique traditionnel.
2. Les ouvrages
ayant pour objet l'étude des transmutations métalliques. Certains ont été
attribués à des alchimistes; d'autres ont pour auteurs des chimistes anciens,
par exemple, Kunckel et Becher.
3. Les ouvrages
pharmaceutiques et médicaux fondés sur l'interprétation iatrochimique des
théories alchimiques et sur l'application de ces doctrines à la préparation des
médicaments et à la guérison des maladies.
4. Les ouvrages
littéraires et philosophiques inspirés par la gnose alchimique et par son langage
symbolique.
Entre ces quatre
catégories, trop souvent confondues entre elles par les historiens des
sciences, existent des différences importantes. La première, la plus évidente,
est quantitative. Le corpus alchimique traditionnel compte seulement une
vingtaine d'auteurs parmi lesquels nous citerons les noms mythiques ou réels
d'Hermès (La Table d'émeraude, et les commentaires d'Hortulain), d'Arnauld de
Villeneuve, de Geber, d'Artéphius, de Roger Bacon, de Raymond Lulle, de Nicolas
Valois, de Bernard le Trévisan, de Thomas Norton, de George Ripley, de Michael
Sedziwoj (Sendivogius), de Venceslas Lavinius de Moravie, de Basile Valentin,
de Jean d'Espagnes, de Limojon de Saint-Didier, d'Eyrenée Philalèthe. A notre
époque, les alchimistes ont ajouté à cette liste le pseudonyme déjà célèbre
d'un adepte inconnu: Fulcanelli, dont l'œuvre majeure, Les Demeures
philosophales, publiée en 1930 dans sa première édition, a éclairé profondément
les études alchimiques traditionnelles.
Les trois autres
catégories d'ouvrages, en revanche, comptent plusieurs milliers d'auteurs et
de titres. Borel et Lenglet-Dufresnoy, voici plus de deux siècles, en fixaient
le nombre à six mille. D'autres collections mentionnent vingt mille titres. Si
l'on y ajoute la difficulté d'accès de ces textes, dont la plupart sont rédigés
en latin "scientifique", c'est-à-dire dans une langue assez
différente du latin classique, on comprend aisément que les historiens soient
fort loin de connaître tous ces ouvrages dont la lecture, souvent fastidieuse
et décevante, exige une inlassable patience.
Certains auteurs
classiques, comme, par exemple, Bernard Trévisan, appelé parfois "le
"Trévisan", ou "le bon Trévisan" parce qu'on le jugeait
"plus charitable", c'est-à-dire moins obscur et moins "jaloux de
sa science" que d'autres adeptes, n'ont pas caché le temps considérable
qu'ils consacrèrent à leurs recherches. Ayant commencé à lire Rhazès à l'âge de
quatorze ans, "le bon Trévisan" avoue qu'il ne découvrit le sens
véritable du corpus traditionnel qu'à l'âge de soixante-treize ans.
Le cas du Trévisan
n'est pas exceptionnel. La littérature alchimique a fait de la lecture même de
ses oeuvres une épreuve initiatique et c'est là, sans doute, son caractère le
plus déconcertant, le plus étranger au moins à nos méthodes didactiques
actuelles. Aussi convient-il d'essayer de comprendre les structures
cryptographiques originales de ces textes dans la généralité de leurs propos et
de leurs fonctions.
Concernant le langage alchimique proprement dit, René Alleau se réfère à Michel Butor pour montrer la complexité et l'adaptabilité du langage en tant qu'outils de compréhension du corpus alchimique, dont nous devons garder à l'idée sa fonction codifiante au niveau de sa dimension sémantique et symbolique:
Concernant le langage alchimique proprement dit, René Alleau se réfère à Michel Butor pour montrer la complexité et l'adaptabilité du langage en tant qu'outils de compréhension du corpus alchimique, dont nous devons garder à l'idée sa fonction codifiante au niveau de sa dimension sémantique et symbolique:
Le langage
alchimique
Dans une étude
publiée par la revue Critique, en 1953, Michel Butor a analysé avec beaucoup
de clarté les problèmes posés par l'alchimie et son langage : "Tant qu'une
transmission orale était la règle, écrit-il, ces livres ont pu être des sortes
d'aide-mémoire, chiffrés de façon très simple. Pour avoir un exposé de la suite
de manipulations prévues et des transformations cherchées, il suffisait de décoder,
de même qu'il suffit de savoir un peu de latin pour découvrir dans un missel quels
sont les gestes qu'accomplit le prêtre chrétien à l'autel et les paroles qu'il
prononce, en laissant entre parenthèses la signification théologique de tout
cela. Mais, au fur et à mesure que cet enseignement oral devenait l'exception,
les maîtres se sont mis à faire des livres qui, de plus en plus, suffisent à
l'initiation. Ce sont des documents chiffrés, mais qui invitent le lecteur à
venir à bout de ce chiffre. [ ... ] L'alchimiste considère cette difficulté
d'accès comme essentielle, car il s'agit de transformer la mentalité du lecteur
afin de le rendre capable de percevoir le sens des actes décrits. Si le
chiffre était extérieur au texte, il pourrait être aisément violé, il serait en
fait inefficace. Le chiffre employé n'est pas conventionnel, mais il découle
naturellement de la vérité qu'il cache. Il est donc vain de chercher quel
aspect du symbolisme est destiné à égarer. Tout égare et révèle à la
fois."
Dans sa
conclusion, Michel Butor montre bien la fonction principale de ces structures
cryptographiques : "Le langage alchimique est un instrument d'une extrême
souplesse, qui permet de décrire des opérations avec précision tout en les
situant par rapport à une conception générale de la réalité. C'est ce qui fait
sa difficulté et son intérêt. Le lecteur qui veut comprendre l'emploi d'un seul
mot dans un passage précis ne peut y parvenir qu'en reconstituant peu à peu une
architecture mentale ancienne. Il oblige ainsi au réveil des régions de
conscience obscurcies."
René Alleau continue cette analyse de la fonction profane de la lecture des oeuvres alchimique en se focalisant il nous parle de "ce processus de concentration illuminative" qui s'effectue lorsque l’adepte se met en rapport avec les oeuvres alchimiques et qui rend opératif le phénomène de transmission. René Alleau nous fait donc intelligemment entrevoir ici le sens du cryptage des oeuvres alchimiques dans le fait que par ce processus même: "L'alchimiste considère cette difficulté d'accès comme essentielle, car il s'agit de transformer la mentalité du lecteur afin de le rendre capable de percevoir le sens des actes décrits." Les différents moyens utilisé par l'organe psychique de l'adepte viennent contribué à cette "concentration illuminative" par l’entremise des "sensations, imagination, discours, songes et fluctuations mentales". Il suffit de de s'être plonger intensément et pourrait-on die passionnément dans la lecture et l'étude des oeuvres alchimiques pour se rendre compte que ce processus est véritablement actif et de plus en lus actif au fur et à mesure de la quête. Par conséquent il est nécessaire d'observer des périodes de repos, de mise en veille, qui vont faciliter l'intégration et rendre plus harmonieux le travail interne d'assimilation au niveau intellectuel et mental, mais aussi au niveau psychique, intuitif et énergétique. Cet un aspect important de la démarche alchimique , trop peu évoqué dans les ouvrages à dispositions, qu'ils soient antiques, anciens ou contemporains. Ce processus "oblige ainsi au réveil des régions de conscience obscurcies", pouvant parfois générer des chamboulement énergétiques et psychique dans la structure mentale et psychologique mais aussi vibratoire du chercheur. C'est pourquoi au regard de ma propre expérience personnelle il me parait important d'évoquer cet aspect du processus de recherche, car il constitue une clef de mise en rapport direct avec les auteurs, une véritable communication spirituelle, par l'entremise de leurs oeuvres. Les extraits de cette étude de René Alleau viennent ici appuyer cette réalité du processus, décrit aussi dans l'article de ce blog: La mise en rapport avec l'égrégore alchimique. Rné Alleau continue donc de nous aiguiller sur cette quête initiatique que constitue l'acte de lecture et d'étude du corpus alchimique, aussi ésotérique et difficile soit-il:
Ainsi la lecture
profane devient-elle une quête initiatique du "Sens", et nous
retrouvons ici ce que nous avons signalé précédemment à propos de la gnose
jabirienne, de la "science de la Balance" : A toute genèse correspond
une exégèse, mais, dans le cas de la tradition écrite, c'est, inversement, de
l'exégèse que dépend la genèse.
En effet, la
recherche de la pierre philosophale, ses énigmes et ses pièges, l'extrême
fascination de l'or, des pouvoirs et du savoir que les alchimistes attendaient
de sa possession, suscitaient dans leur esprit une obsession, un monoïdéisme
qui s'étendait, au cours de leurs longues et pénibles recherches, à toutes les
zones claires et obscures de leur conscience. Sensations, imagination,
discours, songes et fluctuations mentales s'y absorbaient. Peu à peu se formait
ainsi un centre, un noyau psychique rayonnant autour duquel se rassemblaient
et gravitaient leurs puissances intérieures. En même temps se décantait l'humus
des motivations irrationnelles autour d'images d'un désir transféré à la
dimension même du cosmos, à des unions nuptiales planétaires, minérales et
métalliques, ardemment entretenues et amoureusement contemplées. Ce processus
de concentration illuminative n'est pas moins évident dans d'autres disciplines
ésotériques et mystiques. On le retrouve dans le bouddhisme zen, dans le yoga,
dans les oraisons hésychastes de l’Église d'Orient, dans le dhikr du soufisme
islamique. Le monoïdéisme centre l'intention du cœur sur l'objet du désir.
"Pour visiter les jardins du souvenir, enseignent les maîtres, il faut
frapper à la même porte jusqu'à s'user les doigts."
Toutefois, cette
explication psychologique ne doit pas être considérée comme seule capable de
rendre compte des structures cryptographiques de l'alchimie. Il ne faut pas
négliger leurs raisons positives. Pour en donner quelque aperçu, imaginons que
nos physiciens aient décidé de se communiquer leurs expériences sur la
radioactivité artificielle, sans les révéler ni à la majeure partie de leurs
collègues ni aux pouvoirs publics, tout en laissant à une élite la possibilité
d'accéder à leurs connaissances.
D'une part,
craignant la perspicacité des autres savants, ils auraient été dans
l'obligation de leur tendre des pièges plus ou moins subtils en laissant
subsister de constantes équivoques sur leurs buts véritables comme sur leurs
procédés expérimentaux. D'autre part, dans la mesure où la poursuite de leurs
recherches exigeait des crédits, il leur aurait été indispensable de les
justifier par l'importance extraordinaire des résultats pratiques et, par
exemple, financiers, que l'on en pouvait attendre. Enfin, comme ils se
seraient souciés, néanmoins, de transmettre à de futurs chercheurs leurs observations
sur les propriétés réelles des corps qu'ils venaient de découvrir, ils auraient
marqué la différence de ces éléments artificiels avec les éléments naturels
par quelque procédé simple et discret, les nommant, par exemple,
"notre" plomb, "notre" mercure, "notre" or, comme
l'ont fait constamment les alchimistes.
Cependant, les
ressources ordinaires de la cryptographie auraient été insuffisantes si l'on
s'était borné à laisser dans ces messages une clef qui pouvait être imaginée
par le décrypteur. En revanche, si cette clef était elle-même la structure
caractéristique de l'un de ces corps radioactifs artificiels, les messages
présentaient un seuil d'intelligibilité qui se confondait pratiquement avec le
seuil des expériences décrites, et leurs lecteurs ne pouvaient être, dès lors,
que des "réinventeurs".
Le seul danger
auquel s'exposait ce système était le hasard qui, on le sait, a joué un rôle
considérable dans l'histoire des sciences. Mais les probabilités de
reconstituer un processus expérimental pondéralement rigoureux, comprenant des
opérations successives et qui dépendent, en outre, de conditions cosmologiques
strictement déterminées, comme dans le cas de l'élaboration de l'œuvre
alchimique, sont pratiquement négligeables.
Voici donc dans ce dernier paragraphe de cet extrait du texte de René Alleau sur le processus décryptage de l’œuvre alchimique évoqué la nécessite de se référer aux maîtres de l'alchimie et de comment rester aligner à cette quête de l'impossible qui s'inscrit dans une tradition ésotérique antique dont le corpus alchimique se réfère en permanence car constituant une source de connaissance inépuisable et adaptable à toute époque, garant d'une ligne de sagesse de référence pour qui sait user de son discernement et pour tous chercheur de bonne volonté:
La quête de
l'impossible
On voit ainsi que
le vrai problème aurait été celui de l'ouverture d'un tel système plutôt que
celui de sa fermeture. Et c'est là que les alchimistes ont fait preuve d'un
véritable génie cryptographique. Ils ont utilisé le principal piège qu'ils
tendaient aux avides et aux ignorants pour ouvrir à leurs disciples la porte
de leur jardin. Ils ont compris, en effet, que, seule, la quête de
l'impossible, de l'irréalisable, était capable de mobiliser toutes les
ressources intellectuelles, morales et spirituelles de certains hommes,
jusqu'à ce point critique d'une illumination, qui leur livrerait, selon
l'admirable expression d'André Breton "l'ombre avec sa proie fondues dans
un éclair unique". Ainsi les maîtres de l'alchimie ont-ils confié à
l'espoir la vraie clef du jardin des Hespérides, comme à sa quête héroïque la
Toison d'Or. Car ils savaient, par leur propre expérience, qu'ils ne devraient
craindre aucune divulgation de la part de ceux qui auraient payé si chèrement
leur accès à la "haute science".
En lien avec cet article:
La mise en rapport avec l'égrégore alchimique
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