Dialogue de la reine Cléopâtre avec les Philosophes ses disciples
Citons-en ici quelques lignes pour indiquer
sur quelle perspective débouche le prône du Fils du Soleil :
« Ayant pris la parole, Ostanès et ses
compagnons dirent à Cléopâtre : En toi se tient cachée la totalité du mystère
terrible et extraordinaire Dis-nous comment les eaux bénies descendent d'en
haut pour visiter les morts tombés, enchaînés, opprimés dans la ténèbre et
l'obscurité de l'Hadès [ ... ]. L'âme et l'esprit se réjouissent de ce que les
ténèbres aient fui loin du corps, et l'âme appelle le corps qui est devenu lumineux
: réveille-toi du fond de l'Hadès, ressuscite hors du tombeau, lève-toi et sors
des ténèbres! Car tu as revêtu la spiritualisation [pneumatôsis], la
divinisation [theiôsis], puisque la voie de la résurrection est venue à toi et
que le filtre de vie a pénétré jusqu'à toi [ ... ]. Et ils se sont unis tous
trois dans l'amour, le corps, l'âme et l'esprit, et ils sont devenus un, et
dans cet un est caché le mystère. Par le fait de leur réunion le mystère s'est
accompli : le temple a été marqué du sceau, et une statue s'est dressée, pleine
de lumière et de déité [ ... ]. »
Ainsi se trouvent réunies les trois
composantes du cérémonial de l'alchimie comme art hiératique : motif de la
statue, motif du temple, motif du prêtre.
On entrevoit donc très bien comment le
dialogue de Cléopâtre avec ses disciples forme l'horizon auquel s'élèvent les
thèmes du temple et de la statue du Fils du Soleil, le premier des sept temples
et la première des sept statues du Livre
des Statues vivantes d'Apollonios de Tyane, et combien judicieuse est
l'initiative de Jaldakî appelant le dialogue de Cléopâtre à commenter le Livre
d'Apollonios. De même qu'ici il faut la réunion des trois pour que la statue se
dresse, de même Jaldakî insiste, nous l'avons vu, sur le fait que la statue ne
devient une Statue qu'après que l'or en a été transféré hors de sa matrice
originelle naturelle, pour devenir de nature spirituelle, humaine, angélique,
solaire... Statue in mundo imaginale.
L'une des « Statues intérieures » dont parle Giordano Bruno.
Au terme de son grand commentaire du «
Dialogue de la reine Cléopâtre avec les Philosophes ses disciples », Jaldakî
introduit alors « le Grand livre de la Lune », d'Apollonios: Viendront ensuite
les prônes de chaque statue des cinq autres divinités planétaires, chacune
constituée du métal « philosophique » qui lui correspond, et se manifestant
dans son Temple avec un cérémonial analogue à celui auquel nous avons assisté
ci-dessus dans le Temple du Soleil.
Le peu que nous en avons dit ici donnera
quelque idée du travail énorme qu'il reste à accomplir pour pénétrer dans le
détail des profondeurs de l'alchimie islamique, héritière de tout ce qui la
précéda, comme « science de la Résurrection » qui ne peut être révélée qu'aux
initiés. De nos jours encore, l'école shaykhie, en Islam iranien, a produit
d'importants traités d'alchimie. Toutes les recherches récentes autour des
textes alchimiques latins ont montré, certes, que l'alchimie est tout autre
chose qu'un chapitre de l'Histoire des sciences, précurseur de la chimie. Mais
combien de textes latins sont encore en manuscrits, comme presque tous ceux de
l'alchimie islamique, pour ne rien dire de l'alchimie taoïste, de l'alchimie de
la cabale. L'espoir d'arriver à reconstituer la vision alchimique du monde
est-il un espoir eschatologique? Lorsque l'on commence l'étude d'un traité
d'alchimie, la lecture des premières pages se passe en général très bien. Brusquement
nous faisons une chute dans le vide parce qu'il nous manque la clavis hermeneutica. Le secret de l'art
hiératique est-il à jamais perdu?
Extrait du postlude d'Henry Corbin au Livre des sept statues
d'Apollonios de Tyane commenté par Jaldakî
dans " Alchimie comme art hiératique".