PARACELSE - CINQ TRAITÉS
TROISIÈME TRAITÉ
De la chair et de la mumie.
Pour traiter de la chair, il faut savoir
qu'il en existe de plusieurs sortes : la chair de la terre, la chair de l'eau, la
chair de l'air et la chair du feu. Et bien que toutes soient chairs, chacune
est d'une nature autre que l'autre. L'une plus salubre, l'autre moins, une
autre meilleure que les autres. Et la chair de la terre, laquelle appartient à
la terre, c'est la chair ordinaire et domestique comme sont les bœufs, vaches,
veaux, moutons, truies, etc. La chair de l'eau, qui appartient à l'eau, ce sont
tous les poissons, écrevisses, grenouilles, colimaçons et autres.
La chair de l'air, ce sont tous les oiseaux, tout ce qui porte plumes et ailes. La chair du feu, qui appartient au feu, c'est celle qu'il faut beaucoup bouillir et qui a besoin de feu comme sont tous les gibiers. Et comme l'air est l'élément le plus noble sans quoi nul ne pourrait ni ne
saurait vivre, ainsi aussi sa chair est la plus saine parmi quatre chairs élémentaires. Et de même que l'eau n'est pas un aliment mais une boisson, de même sa chair est-elle comptée comme une boisson par rapport aux autres chairs; cependant, c'est une chair. C'est pourquoi celui qui n'aime pas manger de viande ne devrait non plus manger ni poissons, ni écrevisses, ni colimaçons. Ainsi le saint apôtre Paul, dans son épître aux Corinthiens, parle de beaucoup de sortes de chairs et nomme le poisson une chair. Néanmoins, c'est une chair stérile car, en l'homme, elle ne conduit pas et redevient eau. La chair de la terre est moyenne, et comme elle est plus forte et plus fortifiante en sa nature que les deux autres, alors, elle conforte le corps de l'homme, étant pour lui l'aliment le plus sain, fortifiant le fort et affaiblissant le faible. Mais la chair du feu est trop forte pour la nature [humaine], et tout comme on redoute les bêtes fauves, ainsi leur chair est-elle à craindre car tout de même qu'il faut beaucoup la cuire et la rôtir et qu'elle nécessite beaucoup de feu, il lui faut aussi beaucoup de digestion dans l'estomac de l'homme et elle exige un homme dur et travailleur.
La chair de l'air, ce sont tous les oiseaux, tout ce qui porte plumes et ailes. La chair du feu, qui appartient au feu, c'est celle qu'il faut beaucoup bouillir et qui a besoin de feu comme sont tous les gibiers. Et comme l'air est l'élément le plus noble sans quoi nul ne pourrait ni ne
saurait vivre, ainsi aussi sa chair est la plus saine parmi quatre chairs élémentaires. Et de même que l'eau n'est pas un aliment mais une boisson, de même sa chair est-elle comptée comme une boisson par rapport aux autres chairs; cependant, c'est une chair. C'est pourquoi celui qui n'aime pas manger de viande ne devrait non plus manger ni poissons, ni écrevisses, ni colimaçons. Ainsi le saint apôtre Paul, dans son épître aux Corinthiens, parle de beaucoup de sortes de chairs et nomme le poisson une chair. Néanmoins, c'est une chair stérile car, en l'homme, elle ne conduit pas et redevient eau. La chair de la terre est moyenne, et comme elle est plus forte et plus fortifiante en sa nature que les deux autres, alors, elle conforte le corps de l'homme, étant pour lui l'aliment le plus sain, fortifiant le fort et affaiblissant le faible. Mais la chair du feu est trop forte pour la nature [humaine], et tout comme on redoute les bêtes fauves, ainsi leur chair est-elle à craindre car tout de même qu'il faut beaucoup la cuire et la rôtir et qu'elle nécessite beaucoup de feu, il lui faut aussi beaucoup de digestion dans l'estomac de l'homme et elle exige un homme dur et travailleur.
Comme il y a plusieurs sortes de chairs,
ainsi que nous l'avons dit, il y a plusieurs sortes de mumies. Une mumie de la
terre, une mumie de l'air, une mumie de l'eau et une mumie du feu.
Est mumie de la terre celle qui sur ou dans
la terre devient une mumie. Autrement dit, c'est le corps de l'homme qui perd
sa vie sur la terre ou dans la terre et meurt de maladie ou de mort naturelle.
C'est la mauvaise mumie, celle qui n'est encore utile à rien qu'à être mise en
terre et livrée aux vers. Telle est la mumie de la terre qui doit pourrir dans
la terre et hormis cela n'est bonne à rien. Ainsi les corps embaumés des hommes
ne sont-ils pas les vraies mumies. La plus vraie et la plus forte vient du
corps de l'homme qui n'est pas mort de mort naturelle mais de mort violente,
avec un corps sain, sans maladies et sans souffrances. Cette mumie-là est à
louer hautement et il est nécessaire d'en parler ici. Toutes les bêtes créées
par Dieu pour notre nourriture doivent être abattues en pleine santé, car si
elles l'étaient pendant qu'elles sont malades et si nous en mangions, elles
seraient malsaines et engendreraient de nombreuses et différentes maladies.
Parce qu'il s'agit là de charognes, sans pouvoir et sans efficace. Si cela
arrive avec des bêtes malades, si nous les abattons et les mangeons, combien
davantage alors avec des mortes! autrement dit : quand nous les laissons mourir
de leur mort et qu'ensuite nous les consommons. Ce qui provoque non seulement
les maladies mais aussi la mort. De même faut-il comprendre avec la mumie [de
quelqu'un] qui meurt de maladie ou même de mort naturelle. Car d'un tel homme,
toutes les forces s'enfuient, le sang s'écoule, le corps pourrit quoique vivant
encore. A l'instar de ce sang, toutes les autres forces diminuent; en cet
homme, l'esprit de vie se retire, son estomac ne veut plus digérer et il perd
sa forme et sa couleur. Le baume de son corps le quitte comme une herbe qu'on
arrache de la terre. Tous ces signes apparaissent chez un homme qui meurt.
C'est pourquoi on ne peut guère utiliser une telle mumie.
En ce qui concerne les autres trois, vous
devez comprendre que la plus noble, celle qui est à louer le plus, est la mumie
de l'air. Il s'agit du corps qui est devenu mumie par l'air ou dans l'air;
l'homme qu'on a pendu, empalé ou roué. Car il meurt à l'air, et dans l'air est
sa tombe et sa putréfaction. Ce sont les mumies constellées que l'astre
supérieur impressionne et influence puissamment. Et sitôt que le soleil et la
lune brillent sur elle, elle (la mumie) est dans sa plus grande exaltation et
recèle des forces et des vertus merveilleuses. Et si les médecins ou quiconque
savaient quoi faire avec cette mumie ou à quoi elle est utile, alors nul
malfaiteur ne resterait plus de trois jours au gibet ou sur la roue : il en
serait enlevé, si toutefois c'était possible.
A présent, il y a une mumie de l'eau, celle
qui provient d'un noyé, ou de quelqu'un qu'on a noyé; dans l'eau il a perdu sa
vie, en pleine santé, et est devenu mumie. Egalement le corps qui a été exécuté
ou tué par le feu, car il a perdu sa vie dans le feu, saine, et est devenu mumie.
Avec ces trois mumies, on a entrepris et
obtenu bien des choses merveilleuses, principalement ceux qui les ont réalisées
eux-mêmes, tels que les exécuteurs, les bourreaux, les meurtriers, les
assassins. Ils n'ont pas seulement dérobé la vie pour en faire une mumie après
avoir assassiné et tué, mais ils se sont en plus emparé de l'esprit de la
victime qu'on nomme spiritum homini;
ils l'ont pris et soumis au dernier degré de la mort et ont causé beaucoup de
peine et grand désagrément à cet esprit. De là est issu l'art de la nécromancie
et c'est d'eux qu'elle tient son nom.
Malheur à cet art nécromantique et à tous
ceux qui en abusent misérablement! Certes, la nécromancie existe mais elle est
du diable et c'est sous son inspiration qu'on l'apprend et qu'en abusent, en
tant qu'instrument du diable, des gens tellement désespérés qu'il vaudrait
mieux pour eux leur pendre au cou une pierre de meule et les précipiter dans la
mer. Car ainsi qu'ils agirent, ainsi devront-ils finir et bien plus
terriblement. En effet, ils ne vont pas seulement perdre misérablement la vie
mais aussi la paix de leur conscience et le salut de leur âme. Ce qu'un
Chrétien doit avoir, ils vont le perdre et devenir les créatures les plus
déshéritées que Dieu ait jamais créées.
A présent, afin d'en dire plus long sur les
mumies, vous devez savoir qu'il en existe encore une autre. A savoir : celle
qui est séparée et préparée d'un corps vivant. Car chaque homme peut transmuter
son corps en mumie sans dommage pour le corps et la vie; puis prendre une part
de son corps sans que cela soit visible. Pour faire ces mumies-là, nombreux
sont ceux qui ont pris beaucoup de peine, surtout les amoureux et amoureuses
qui ont prêté à leur propre mumie une parcelle de leur passion. Aussitôt,
l'amour a pris naissance et s'est allumé, et ce corps, duquel avait été pris la
mumie, a attiré l'autre corps d'une telle manière et l'a tellement enflammé
d'amour qu'il ne pouvait plus exister sans l'autre et le suivait toujours. Et, découvrant
un tel effet dans ces mumies, on s'est mis à approfondir ces choses. Alors, les
paysans en ont entendu parler et ils ont eux aussi, comme susdit, travaillé
leur bétail, les chèvres, poules, oies, pigeons, etc. qui se sauvaient et s'envolaient
volontiers en sorte qu'ils ne se sauvent ni ne s'envolent mais reviennent
toujours et ne cherchent point l'affection d'autres maîtres. Ainsi a-t-il été
fait par beaucoup à leurs chevaux, leurs chiens, leurs faucons et maints autres
oiseaux. Souvent aussi les chasseurs s'y sont pris ainsi avec leur gibier et
l'ont forcé à l'amour à ce point qu'il les suivait jusque dans leurs pièges.
Beaucoup, contraints d'avoir affaire aux bêtes sauvages, ont fait de même avec
leur mumie pour les forcer à les aimer au point que ces bêtes ne pouvaient leur
nuire et étaient forcées de les adorer et de leur obéir en toutes choses. Et il
faut savoir et noter qu'on peut réconcilier les deux plus grands ennemis —
c'est-à-dire un singe et un serpent — et parvenir à ce qu'ils s'aiment éternellement.
Car un homme ne déteste pas son propre corps, et c'est ce qui arrive ici. Un
corps désir l'autre comme l'aimant le fer et l'on ne saurait le comprendre
autrement qu'entre aimant et fer qui s'aiment mutuellement toujours, dépendent
l'un de l'autre, vont de pair et se poursuivent. Et l'aimant sans le fer ne
saurait conserver ses forces, il lui faut celui-ci; et au fer il faut l'aimant
qui autrement reste sans force. Egalement aussi entre deux hommes, ou entre un
homme et une bête par ces amours apprêtées comme susdit. En effet, chaque corps
auquel une mumie vivante est ajoutée par un homme, devient aussitôt un aimant.
Il est à noter que la mumie doit être prise de son corps sous l'influence de
Vénus car alors l'amour devient le plus fort.
De là vient un grand abus et une misère
extrême chez les putains et prostituées du diable qui ont mal compris ce
procédé, ou que le diable et les siens ont mal expliqué. Elles ont utilisé
leurs menstrues, pensant qu'elles serviraient plus particulièrement à la mumie
et que ce serait particulièrement utile pour garder l'amour, ce qui, pourtant,
est un mensonge diabolique et une tromperie car c'est [en fait] un pur poison.
Celui qui l'absorbe, celui-là ne guérira jamais jusqu'à ce que mort s'ensuive.
Et, selon la vigueur de sa complexion, s'il vit plus longtemps, il n'en sera
pas davantage le maître et devra le payer de sa peau et de sa vie.
Mais il n'en est pas ainsi avec la mumie
lorsqu'elle est tirée d'un corps sain; alors n'en résulte aucune maladie et
moins encore la mort.
Ainsi donc, grâce à sa propre mumie, chacun
doit faire de son ennemi son meilleur ami et accomplir ensuite toutes ses
volontés et ne pas être contre lui mais avec lui.
De ces mumies sont nées les cures
magnétiques les plus secrètes et les plus occultes, comme l'ont compris
quelques-uns qui ont eu connaissance et intelligence des pouvoirs et vertus de
leur propre mumie et de son grand effet magnétique. Ceux-là ont su qu'une toute
petite dose attire à soi le corps entier comme un aimant le fer. Ils se sont eux-mêmes
débarrassés de grandes douleurs dans leurs membres, particulièrement de la
lèpre, du mal français, de la paralysie, de la podagre, de l'hydropisie, de la
tuberculose, du chancre, des fistules, de la sirei, des écorchures et de toutes les cruelles maladies
anciennes qui apparaissent à l'extérieur du corps et sont visibles. Car une
mumie impure et gâtée gâte aussi le corps sain dans lequel elle vient et avec
lequel elle s'accorde. Et la corruption du corps sain est ce qui est santé et
guérison de l'autre corps dont la mumie a été enlevée.
Mais une mumie ne peut être utile ou
nuisible à une autre car elles sont mortes toutes deux et n'ont plus d'effet.
Tout comme un aveugle, s'il en guide un autre, et les voilà tous deux dans le
fossé. C'est pourquoi il faut que la mumie ait un corps vivant et concorde avec
lui afin qu'elle change son propre corps, celui dont elle est issue, pour
l'attirer, comme l'aimant attire le fer ou retourne l'aiguille de la boussole.
A partir de ces cures magnétiques obtenues
par les mumies, on a découvert des cures encore plus merveilleuses, plus qu'on
ne saurait le décrire ici. Il faut savoir qu'un homme affligé des maladies
citées plus haut, que ce soit la lèpre, le mal français, l'hydropisie, la
podagre ou autres, doit en faire un aimant (magiquement parlant) et faire d'un
corps vivant un aimant magique. Dès que cet aimant a reçu une essence du fer de
la mumie corrompue, il ne cesse d'attirer à soi, aussi longtemps et jusqu'à ce
qu'il ait attiré tout le fer à lui. Ainsi, assisté, en ce qui tout homme peut
être soulagé et assisté en ce qui concerne toutes les maladies indiquées plus
haut. Et il n'existe pas d'autre manière pour l'aider; il n'y a que cette cure
magnétique, par l'intermédiaire de la mumie, pour surpasser tous les arcanes
médicinaux autant qu'on puisse en préparer des herbes, racines, minéraux et
métaux.
Et maintenant, apothicaires, considérez
quelle sorte de mumie vous avez et à quelle distance elle se trouve de celle
dont je traite ici, elle, ses effets et ses vertus! A savoir : aussi éloignées
que l'Orient l'est de l'Occident, et aussi différentes l'une de l'autre qu'un
corps d'un esprit ou que la mort de la vie. Comment trouvez-vous ce discours et
qu'en dites-vous?
Théophraste BOMBAST von Honhenheim
Ermite souabe
dit Paracelse le Grand
Philosophe très-savant
dit Paracelse le Grand
Philosophe très-savant