PARACELSE - CINQ TRAITÉS
CINQUIÈME TRAITÉ
Du sommeil et de la veille
des corps et des esprits.
des corps et des esprits.
Le sommeil naturel est un repos du corps,
il lui restitue sa force perdue. Et de même que l'homme, après un grand et dur
labeur, est fatigué, sans forces et doit trouver son repos, de même la veille
doit avoir le sommeil et le jour la nuit. Et pendant le jour a lieu la veille
et le travail; la nuit, c'est le sommeil et le repos.
Donc vous devez savoir que le jour
appartient aux corps et la nuit aux esprits. Car durant le jour travaillent les
corps et durant la nuit les esprits. Quand les corps s'arrêtent, les esprits
commencent; et quand les esprits s'arrêtent, les corps commencent. Pareillement,
quand le corps de l'homme cesse de travailler et commence à se reposer, alors
son esprit commence à travailler; et quand il cesse à son tour, alors le corps
recommence. C'est pourquoi la veille du corps est un sommeil pour l'esprit et
le sommeil de l'esprit une veille pour le corps. Parce que quand le corps dort,
l'esprit veille; et quand le corps veille, l'esprit dort, reste calme et
tranquille. Car ils ne peuvent ou ne veulent être éveillés ensemble, dormir,
travailler, opérer, étant opposés l'un à l'autre. Il faut que l'un fléchisse
devant l'autre et aucun ne peut ou ne veut supporter l'autre avec lui ou près
de lui. Examinons l'exemple de quelqu'un qui dort : tout ce que fait le corps
pendant le sommeil, sans le savoir, l'esprit le fait en lui. Et vous voyez que
certaines gens parlent ou répondent dans le sommeil, ou même se lèvent et marchent.
Tout cela, l'esprit le fait en eux, lequel régit le corps. C'est pourquoi il
arrive souvent, si on appelle de telles personnes par leur nom, qu'elles
s'éveillent ou tombent. La cause en est que l'esprit, en elles, est effrayé
parce qu'on a prononcé le nom; car les esprits s'effrayent tout autant de la
voix des hommes que les hommes de la voix des esprits. Et parce que l'homme a
reçu son nom dans et par le baptême (mais l'esprit, lui, ne l'a pas reçu), il
arrive, lorsqu'il est appelé par ce nom que l'esprit s'effraye et devienne sans
force. Raison pourquoi il est bon et hautement nécessaire de ne pas laisser de
telles personnes dormir seules. Et si elles n'aiment pas avoir quelqu'un dans
leur lit, elles devraient néanmoins avoir quelqu'un dans leur chambre.
Spécialement les hommes qui sont souvent attaqués et tourmentés par les
esprits-sorciers. Dans ce cas, il est très opportun qu'on les appelle par leur
nom de baptême; alors, tous les esprits nocturnes des sorcières et de tous les
hommes ainsi que toutes les méchantes et effrayantes visions apparues dans le
sommeil et tous les rêves pesants sont repoussés et chassés. Par cela, il
advient aux esprits la même chose qu'au voleur appelé pendant un vol : il n'insiste
guère et prend bientôt la fuite. Ainsi feront aussi les esprits et tous les
mauvais rêves et visions écartés par le fait qu'un homme est appelé par son nom
de baptême.
Mais il faut remarquer qu'on ne doit pas
nommer ou effrayer tous les hommes qui parlent pendant le sommeil, car ils ne
parlent pas avec eux-mêmes, comme on le dit, mais avec les esprits, bien qu'on
n'entende qu'une seule voix. C'est-à-dire qu'on entend uniquement l'homme
parler ou répondre; mais l'esprit qui s'entretient avec lui, on ne l'entend ni
ne le voit. Et personne ne doit s'étonner de cela car la voix des esprits n'est
pas entendue de tous. Quoiqu'ils parlent ou crient beaucoup plus haut que
l'homme, ils connaissent l'art de boucher les oreilles des autres qui sont
présents ou à proximité, en sorte qu'ils ne peuvent entendre leur voix.
C'est ainsi que les nigromanciens
connaissent bien les esprits de l'air, lesquels sont des esprits moyens encore
appelés spiritus humani dont nous ne
traiterons pas plus longuement ici. Ils sont moyens : ni mauvais ni bons non
plus.
Poursuivons donc avec les discours des
esprits pendant le sommeil. Vous devez savoir qu'il ne faut pas crier après une
telle personne, ni la nommer si elle donne une réponse gaie ou joyeuse ou
réclame quelque chose; à moins qu'elle ne donne en tremblant et hésitant une
réponse peureuse, ou qu'elle ne transpire et travaille durement dans tout son
être : c'est là le signe d'une méchante vision ou d'un rêve pesant. Après
celle-là, on peut crier. Et sachez aussi que tous les hommes ne parlent pas
avec la bouche de leur corps pendant le sommeil, mais avec la bouche de leur
esprit. C'est-à-dire qu'on n'entend pas leur voix. Ce parler-là est beaucoup
plus commun, se produit beaucoup plus souvent que le parler précédent. Et il
faut en faire plus grand cas. Pour cela, il est nécessaire d'être très attentif
quand se manifeste dans le sommeil d'un homme un visage ou l'apparition d'un spiritus homini ou d'un corpore cœlestis. Nous pouvons alors y
parvenir par l'art de la magie, et cela de trois manières différentes, comme
nous allons le montrer ci-après.
Que l'homme [donc], après son sommeil,
lorsqu'il s'éveille, sache véritablement ce qu'un tel spiritus homini lui a annoncé, dit ou enseigné. [Pour y parvenir],
les vieux mages se sont donnés beaucoup de peine car il en découle le plus haut
et le plus grand secret. A savoir : qu'on retrouve ou reprenne le chemin de
l'Art perdu, qui, avec et chez un homme mort, est enterré et décomposé (comme
disent ceux qui sont indoctes en ces choses). Car je dis — bien que l'homme
soit à ce point infidèle qu'il ne veuille apprendre son art à personne durant
sa vie mais préfère mourir et perdre la vie avant de le révéler — [je dis donc]
que le corps seul meurt et que seul il est enterré et pourrit. Mais son esprit
ne meurt pas, n'est pas enterré et ne pourrit pas. L'esprit garde l'art que le
corps a perdu et il le connaît aussi bien. Celui-là peut découvrir l'art et
apprendre la magie à qui apparaît, dans le sommeil, [un esprit] qui lui montre
et enseigne [ces choses]. Alors l'esprit œuvre avec l'esprit. C'est donc la
plus haute et la plus noble concordance, laquelle peut advenir dans toute la
magie. Car donc l'esprit œuvre avec l'esprit, et un esprit apprend à l'autre
son art. Mais un esprit étranger ne peut ou ne veut s'incarner dans un corps
étranger, ou concorder avec lui, il ne le fait qu'avec son propre corps et non
avec un autre. C'est pourquoi le corps de l'homme doit apprendre de son propre
esprit et non d'un esprit étranger. Mais son esprit doit apprendre d'un autre
esprit car il ne peut toujours prendre en soi-même.
Il est donc tout à fait indispensable que
nous sachions bien discerner les spiritus
humani et parfaitement les connaître dans la vie, ou encore de savoir plus
particulièrement quelle sorte de conduite ils ont eu dans la vie du corps, ou
de quelle nature ils ont été. Car vous devez savoir que les spiritus humani ne sont pas tous
véridiques; tous ne sont pas menteurs non plus, à l'instar des hommes. Celui-ci
dit la vérité; celui-là ment. Et l'un est meilleur à croire que l'autre. Ici,
soyez bien attentifs : si l'homme fut authentique durant sa vie, alors l'esprit
l'est aussi après la mort. Mais s'il fut un menteur, il le reste après la mort et
l'on ne peut ni croire en lui ni se fier à lui.
Poursuivons : si l'homme a été maître dans
l'art, son esprit l'est aussi. S'il fut astronome, son esprit de même, lequel
peut enseigner l'astronomie à l'esprit d'un autre homme vivant. S'il fut un
mage, son esprit est aussi un mage et peut également enseigner la magie à
l'esprit d'un autre homme vivant. Même chose s'il fut alchimiste : son esprit
est un alchimiste. Et semblablement l'esprit d'un nécroman, d'un philosophe,
d'un médecin, d'un astrologue, d'un théologien, d'un juriste ou d'un musicien
et de bien d'autres encore. Entendez-le de même avec tous les artisans. Et un
esprit astronome ne peut rien enseigner de vrai dans la magie ou l'alchimie, à
moins qu'il n'ait été en outre mage et alchimiste, ce qui se trouve aussi. Et
tout comme, parmi les hommes, il y en a parfois qui furent astronomes, mages,
alchimistes, maîtres en ces trois arts et souvent bien plus encore, ainsi sont
par la suite leurs esprits. C'est pourquoi, si un homme qui est astronome
t'apparaît en esprit et t'enseigne quelque chose en astronomie, il n'importe
qu'il vive ou soit mort : tu peux le croire. De même faut-il comprendre avec
les arts susdits. Et ça, personne ne peut y contredire.
Mais pour en revenir à la practica, comment nous pouvons accomplir
de véritables visions, et, en esprit et par l'esprit être enseignés, il faut
d'abord et surtout savoir que nous devons demander la miséricorde de Dieu et
croire en Lui. Ensuite, dans la foi, nous devons
faire une image au nom d'un homme à qui nous pensons; puis nous devons écrire sur le corps de l'image le nom de cet homme avec, en plus, une question : ce que tu désires savoir de lui. Pose l'image sous ta tête pendant la nuit et dors dessus. Alors, en esprit, t'apparaîtra dans la même nuit cet homme au nom duquel tu as façonné l'image et il répondra à ta question et t'enseignera ce qu'il peut et ce que tu as espéré de lui étant éveillé.
On peut encore accomplir une telle chose d'une autre manière, et même beaucoup mieux et plus sûrement, sans image, seulement par la foi et l'imagination. Un exemple aidera à comprendre ce procédé. C'est quand je dis à quelqu'un : «Va, couche-toi, dors et dis-moi ce que tu désires voir ou apprendre pendant ton sommeil, toute la vérité!» Car je peux et veux accomplir et t'apprendre un art caché. Je connais, en effet, un mille artificem, lequel m'a donné quelque chose qui possède un tel pouvoir et une telle vertu lorsqu'on le place dans le lit de quelqu'un et que cette personne y dort dessus, que lui apparaît toute la vérité de ce qu'elle a désiré éveillée. Et c'est une toute petite chose qu'on ne remarque pas, ni mauvaise ni nuisible, celle que je veux mettre dans ton lit. C'est pourquoi sois bien attentif à ce que tu vois cette nuit ou à ce qui te sera annoncé par tel ou tel spiritus humani, que tu le saches encore le matin venu (comme nous l'avons décrit dans le livre De occulta philosophia ). Et ne crains pas : il ne t'arrivera rien.
faire une image au nom d'un homme à qui nous pensons; puis nous devons écrire sur le corps de l'image le nom de cet homme avec, en plus, une question : ce que tu désires savoir de lui. Pose l'image sous ta tête pendant la nuit et dors dessus. Alors, en esprit, t'apparaîtra dans la même nuit cet homme au nom duquel tu as façonné l'image et il répondra à ta question et t'enseignera ce qu'il peut et ce que tu as espéré de lui étant éveillé.
On peut encore accomplir une telle chose d'une autre manière, et même beaucoup mieux et plus sûrement, sans image, seulement par la foi et l'imagination. Un exemple aidera à comprendre ce procédé. C'est quand je dis à quelqu'un : «Va, couche-toi, dors et dis-moi ce que tu désires voir ou apprendre pendant ton sommeil, toute la vérité!» Car je peux et veux accomplir et t'apprendre un art caché. Je connais, en effet, un mille artificem, lequel m'a donné quelque chose qui possède un tel pouvoir et une telle vertu lorsqu'on le place dans le lit de quelqu'un et que cette personne y dort dessus, que lui apparaît toute la vérité de ce qu'elle a désiré éveillée. Et c'est une toute petite chose qu'on ne remarque pas, ni mauvaise ni nuisible, celle que je veux mettre dans ton lit. C'est pourquoi sois bien attentif à ce que tu vois cette nuit ou à ce qui te sera annoncé par tel ou tel spiritus humani, que tu le saches encore le matin venu (comme nous l'avons décrit dans le livre De occulta philosophia ). Et ne crains pas : il ne t'arrivera rien.
Alors ce même homme a cru ce que je lui ai
dit, que c'était vrai et tout à fait sérieux, que j'étais capable de telles
choses ou que je les tenais d'un autre. Il alla dormir et imagina tout cela à
cause de mes paroles, et plus encore, se convainquit soi-même que cela
arriverait comme je le lui avais dit; tout comme, dans son imagination, c'était
déjà arrivé pour lui éveillé. Alors, il imagina tant qu'il s'endormit avec
cette imagination. Et nul doute que l'apparition, l'enseignement et l'annonce
ne se produisirent comme je le lui avais dit. Et personne ne doit s'étonner de
cela ou croire que c'est impossible, ou croire qu'il s'agit d'un fantôme comme
c'est l'habitude chez les sophistes. Ces choses, je les ai souvent essayées, expérimentées
et inventées avec plusieurs personnes, lesquelles me l'ont confirmé librement.
Il faut aussi faire savoir quelque chose de
ces hommes qui se sont endormis et ne se sont plus réveillés. C'est-à-dire ceux
qui, en esprit, ont été éblouis par Dieu et le sont restés et ne sont pas
morts. Mais le corps a quand même perdu sa vie, sans rien ressentir, sans le
savoir, sans maladie et sans souffrance. Et ce même corps terrestre s'est
transformé et a été perdu en sorte que personne ne sait ce qu'il est devenu.
Cependant, il est resté sur terre. Mais l'esprit et le corps céleste qui n'ont
ni forme, ni couleur, ni apparence, à l'instar du corps terrestre, ceux-là ont
été pris par Dieu dans le ciel, comme Enoch, Elie et, nul doute, d'autres
encore dont je ne sais rien et que je ne dois pas mentionner; tous ceux-là ont
reçu ensuite le nom de l'immortalité comme nous l'avons écrit dans le De longs vita. Il n'est donc pas
utile de le répéter ici.
En conclusion, il y a encore quelque chose
à dire du sommeil, celui qu'on peut produire par l'art des simples. Lorsqu'un
homme, par une terrible maladie, d'insupportables douleurs et des jours de
souffrance a perdu son sommeil naturel et ne peut dormir ni de jour ni de nuit,
il faut lui apporter le sommeil avec certains simples et remèdes. En premier,
avec la racine de mandragore, le pavot et sa racine qui font un bon sommeil,
surtout quand ils sont préparés dans leur arcane. D'autres encore apportent un
sommeil tel qu'on ne peut d'aucune manière et durant vingt-quatre heures
réveiller le dormeur. Tel est marogus qui apporte un tel sommeil qu'on peut rouer ou exécuter par la plus
terrible mort [le dormeur] sans qu'il en ressente rien, sans qu'il sache ce qui
lui arrive et il ne saurait rien de sa mort et n'en penserait rien.
Finis
CINQ TRAITÉS
Théophraste BOMBAST von Honhenheim
Ermite souabe
dit Paracelse le Grand
Philosophe très-savant
dit Paracelse le Grand
Philosophe très-savant