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L'occultisme ne s'épanouit vraiment que lorsqu'il est soumis au Divin. La Mère

Un Secret commun aux traditions




Extrait de L'Agenda de Mère, octobre1961:


"Nous avons choisi, semble-t-il, depuis Adam, de manger le fruit de l’arbre de la Connaissance, mais, sur cette voie, il n’est pas de demi-mesures ni de repentirs, car si nous restons prostrés, le nez dans la poussière, sous l’effet d’une fausse humilité, les titans ou les djinns qui sont parmi nous, sauront fort bien s’emparer du Pouvoir dont nous n’avons pas voulu, et d’ailleurs c’est ce qu’ils font, et ils écraseront le dieu qui est en nous. Il s’agit de savoir si, oui ou non, nous voulons laisser cette terre entre les mains de l’Ombre pour nous évader, une fois de plus, dans nos divers paradis, ou si nous voulons prendre le Pouvoir – et d’abord le trouver – pour refaire cette terre à une image plus divine et, selon la parole des Rishis, «que la terre et le ciel soient égaux et un seul.»
Il y a un Secret, c’est évident. Toutes les traditions en témoignent, qu’il s’agisse des Rishis ou des Mages de l’Iran, des prêtres de Chaldée ou de Memphis ou du Yucatan...
Lorsqu’il lut pour la première fois les Védas dans la traduction des sanscritistes d’Occident ou dans celle des pandits indiens, Sri Aurobindo n’y avait vu qu’un document de quelque intérêt pour l’histoire de l’Inde, mais qui semblait de peu de valeur ou de peu d’importance pour l’histoire de la pensée ou pour une expérience spirituelle vivante. Quinze ans plus tard, Sri Aurobindo relisait les Védas dans l’original et y trouvait une veine continue de l’or le plus riche tant par la pensée que par l’expérience spirituelle. Entretemps, Sri Aurobindo avait eu une série d’expériences intérieures particulières que n’expliquaient guère la psychologie européenne ni les écoles de yoga ni les enseignements du Védanta, mais que les mantras védiques éclairaient d’une lumière exacte. C’est donc parce qu’il avait eu ces expériences «particulières» que Sri Aurobindo fut à même de découvir, de l’intérieur, le sens vrai du Véda (et notamment du plus ancien des quatre Védas, le Rig-Véda, qu’il a particulièrement étudié). Le Véda ne lui apportait qu’une confirmation de ce qu’il avait reçu directement. Mais les Rishis ne disaient-ils pas eux-mêmes: «Paroles secrètes, sagesses de voyant, qui révèlent leur sens intérieur au voyant.» (Rig-Véda IV.3.16)
Il n’est donc pas surprenant que les exégètes y aient vu surtout une collection de rites propitiatoires centrés autour du sacrifice du feu et des incantations obscures à des divinités de la Nature: les eaux, le feu, l’aurore, la lune, le soleil, etc., afin d’obtenir la pluie et de bonnes récoltes pour les tribus, une progéniture mâle et des bénédictions pour leurs voyages, ou la protection contre les voleurs de soleil – comme si ces bergers étaient assez barbares pour craindre qu’un mauvais jour leur soleil ne se levât plus, volé pour de bon. Seuls quelques hymnes «plus modernes» laissaient filtrer çà et là, comme par inadvertance, quelques passages lumineux qui pouvaient, à la rigueur, justifier le respect que les Oupanishads, venues au début de la période historique, accordaient au Véda. Pour la tradition indienne, les Oupanishads étaient devenues le vrai Véda, le «livre de la Connaissance», tandis que le Véda, produit d’une humanité balbutiante, était un «livre des œuvres» dont tout le monde se réclamait, certes, comme de l’Autorité vénérable, mais que personne n’entendait plus. On peut se demander avec Sri Aurobindo pourquoi les Oupanishads, dont le monde entier atteste la profondeur, se réclamaient du Véda s’il n’y avait là qu’un tissu de rites primitifs, ou comment il se fait que l’humanité ait abruptement passé de ces soi-disant balbutiements à la richesse intense de l’époque oupanishadique, ou comment, en Occident, nous avons pu passer des bergers d’Arcadie à la sagesse des penseurs grecs? Nous ne pouvons pas penser qu’il n’y eût rien entre le sauvage primitif et Platon ou les Oupanishads."

Mère
L'Agenda, 30 octobre1961